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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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21 juin 1846

21 juin [1846], dimanche après-midi, 1 h.

J’attends le médecin qui ne vient pas, mon cher adoré, et cependant l’état de mon pauvre enfant empire de minute en minute. Sa toux a pris une expression effrayante, et quand les crises lui prennent, il semble qu’elle agonise tant elle souffre et tant elle est épuisée. Cette nuit a été pareille aux autres mais je prévois que je ne me coucherai pas du tout pour peu que sa diarrhée augmente encore. Je tâche de t’obéir, mon doux bien-aimé, en cachant les affreuses tortures auxquelles je suis en proie à cette chère bien-aimée. Dans ce moment je lui souris et Dieu sait ce que ce sourire cache de larmes et d’angoisses. Je pense à toi, je t’espère, je t’attends. Je t’aime pour soutenir mon courage jusqu’au bout. À quelque moment de ma vie que ce soit, en quelque circonstance que ton doux souvenir m’arrive, je le bénis comme une joie ou comme un bienfait. Si je ne t’avais pas je ne pourrais pas vivre, je le sens plus que je ne peux l’exprimer. Tu es plus que ma vie, tu es mon âme. Je trouve que ce médecin tarde bien à venir. Il me semble que s’il la voyait il essaierait de la soulager, n’importe par quel moyen. Quant à moi, je suis pleine de trouble et de regret de l’avoir fait venir. Il y a des moments où je suis tentée de faire revenir l’autre médecin, ne fût-ce que pour avoir la faculté de le consulter chaque fois que l’état de cette pauvre enfant empire. Je ne sais plus ce que je dis à force de penser à ma pauvre fille. J’ai beau faire tous mes efforts pour faire diversion à cette douloureuse préoccupation, rien ne parvient à m’en distraire, pas même mon amour. Je t’aime plus que je ne t’ai jamais aimé et je suis triste et désespérée dans l’âme. Et comment ne le serais-je pas, mon Dieu, en voyant mon enfant dans l’état où elle est ? Encore si ce médecin venait, s’il essayait de la soulager, mais il ne vient pas, et ce qu’il essaie me paraît, non seulement impuissant, mais dérisoire. Comment ai-je pu avoir la pensée de m’adresser à ce jongleur aventurier [1] quand il s’agissait de la vie de ma pauvre fille ? Vraiment j’étais folle. Si j’osais, si je savais que faire pour sauver cette malheureuse enfant, je le ferais à l’instant, coûte que coûte. Mais sentir que je ne peux rien, c’est le comble du désespoir. Pardon, mon Victor, je ne suis pas raisonnable, je le sens, mais je suis si malheureuse vraiment qu’il m’est impossible de ne pas me plaindre [2].

Juliette

BnF, Mss, NAF 16363, f. 173-174
Transcription de Marion Andrieux assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Désespérée, Juliette a fait appel au médecin homéopathe de James Pradier, Doroszco.

[2Claire meurt ce jour-là. Apparemment, Juliette Drouet n’a pas écrit de lettre à Victor Hugo le lendemain.

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