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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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16 juin 1846

16 juin [1846], mardi après-midi, 4 h. ½

Je viens à toi, mon refuge, mon autel, mon Dieu, ma consolation, mon espoir. Je viens à toi pour retremper mon courage qui s’en va minute par minute. Ma fille a été si mal ce matin que j’ai cru qu’elle allait mourir. Le médecin n’a pas pu me cacher que cette pauvre enfant avait empiré dans la nuit d’une manière effrayante. Dans cet état de désespoir et ne sachant plus que devenir, j’ai envoyé Mme Lanvin qui dans ce moment-là était auprès de moi. Je l’ai envoyée dire à M. Pradier de m’envoyer son médecin au plus vite. Puisque j’ai le malheur de ne rien avoir à risquer, je veux tenter l’impossible aujourd’hui plutôt qu’un autre jour, puisqu’aujourd’hui cette pauvre bien-aimée a rempli tous ses devoirs de religion. Si le bon Dieu n’est pas une fiction, il me doit ce miracle pour la foi sainte qu’elle a en lui. Quant à moi, je ne sais que pleurer, souffrir et t’aimer. J’ai la tête en feu et mes yeux ont un brouillard épais. Toutes les larmes que je répands ne sont pas seulement sur les souffrances de cette chère enfant mais sur moi qui ne pourrai pas te reconduire ce soir, et qui ne le pourrai peut-être plus tant que nous serons ici. Il est impossible, dans l’état de faiblesse où est cette chère enfant, que je m’absente maintenant de chez moi, même pour quelques instants. Je ne le peux pas, je ne le dois pas, dussé-je marcher sur mon cœur. Aujourd’hui j’attends ce médecin. Il faut que je sois là pour le recevoir. Puis Eugénie a été obligée de retourner à Paris pour ses affaires, et Eulalie est incapable de me remplacer en quoi que ce soit auprès de cette pauvre bien-aimée. Tu vois qu’il faut que je reste absolument ce soir. Ce que je souffre d’avance en prenant cette résolution, Dieu seul et moi le savons. Et pourtant je sais que ce n’est rien en comparaison à ce que je souffrirai en te voyant partir sans moi. Je le sais pour l’avoir déjà éprouvé. Je serre ma chère petite lettre sur mon cœur pour me donner du courage. Je l’ai lue bien des fois depuis que je l’ai reçue à sept heures du soir. C’est à elle que je dois d’avoir tenu bon devant les progrès effrayants de cette atroce maladie. Merci mon amour, [merci mon adoré  ?].

BnF, Mss, NAF 16363, f. 161-162
Transcription de Marion Andrieux assistée de Florence Naugrette

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