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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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11 juin 1846

11 juin [1846], jeudi matin, 8 h.

Bonjour mon toujours plus aimé, bonjour mon adoré petit Toto, bonjour, je t’aime. J’ai le cœur serré mais je t’aime. Ma pauvre fille a passé une mauvaise nuit. Elle n’a pas été un quart d’heure sans souffrir et sans tousser. Le médecin la trouve moins bien que les jours précédents. Il ne sait à quoi attribuer cette recrudescence de la maladie. Moi, je suis consternée car je vois les forces décroître de jour en jour. Je serais tentée de faire appeler le médecin homéopathea, puisqu’on assure qu’il fait des prodiges dans ce genre. Je suis si troublée et si tourmentée de voir cette pauvre enfant dans cet état que je ne sais à quoi me résoudre. Le père doit venir ce matin. Je lui parlerai de cela mais je crains qu’il ne veuille substituer son Doroszko à l’autre. Je ne sais vraiment pas ce que je t’écris. La toux de ma fille, d’une part, les mille soins à donner à la maison et à elle font une diversion si contradictoire que je ne sais plus ce que je dis et ce que je fais. Je sens que je deviens hébétée. Mon Dieu, quelle affreuse position que la mienne. Je ne sais où reposer mes yeux. Tout ce que je vois est si triste et si douloureux que mon courage et ma confiance m’abandonnent. Pardon, mon doux bien-aimé, pardon de me laisser aller à ce découragement profond, car je n’ai pas le droit puisque tu m’aimes. Ô je t’aime aussi moi, de toute mon âme et de toutes mes forces.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16363, f. 145-146
Transcription de Marion Andrieux assistée de Florence Naugrette

a) « oméopathe ».


11 juin [1846], jeudi après-midi, 4 h. ¾

J’espère que tu viendras, mon doux et charmant bien-aimé, mais j’aimerais mieux en être sûre. Je sais tout ce que tu as à faire aujourd’hui et je tremble malgré moi que tu ne puisses pas venir. Cette crainte me serre le cœur et l’estomac au point de ne pouvoir pas respirer librement. J’ai tant besoin de te voir, mon Victor adoré, que je ne pense qu’avec terreur à la possibilité d’un empêchement qui me priverait de ce pauvre petit moment de bonheur ce soir. J’ai dépensé cette nuit et ce matin toute la provision de courage et d’espoir que tu m’avais donnée hier. Je suis tout à fait à court de ces deux précieux sentiments, et toi seul peux m’en redonner d’autres. Cependant Claire est mieux ce soir, si on peut appeler mieux l’affaissement que lui donne la fièvre. Son père est venu ce matin un moment. Il n’a rien trouvé de plus consolant et de plus généreux à me dire que de m’offrir le médecin du dispensaire et les médicaments par la même voie, c’est-à-dire de me faire inscrire moi et ma fille au bureau des indigents, car ce n’est qu’à ce titre qu’on peut avoir ces secours-là. Dans toute autre position et de toute autre personne, je l’accepterais avec reconnaissance, mais de la part de ce misérable, cela me paraît le comble de l’ignominie. Je ne peux pas te dire ce que je trouve de lâche, d’infâme et d’ignoble dans la proposition de ce père gagnant cent mille francs par an. Je m’exagèrea peut-être ces hideux procédés, mais je sais qu’il me blesse de sa part comme une insulte faiteb à la mère et à la femme. Ô mon Victor adoré, je voudrais n’avoir jamais besoin de sortir de ta sainte et glorieuse pensée, car tout ce qui n’est pas toi me blesse et me dégoûte affreusement. Je baise tes pieds.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16363, f. 147-148
Transcription de Marion Andrieux assistée de Florence Naugrette

a) « exsagère ».
b) « fait ».

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