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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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27 avril [1847], mardi matin, 9 h.

Bonjour, mon Toto bien-aimé, bonjour mon doux adoré, bonjour, je te traduis en baisers et en caresses toutes les tendresses passionnées et admiratives que j’ai dans le cœur et que ma plume ne saurait rendre.
Je veux que vous mangiez des oranges. Vous n’avez pas les moyens d’être malade et j’ai besoin de votre santé pour vivre. Donc vous aurez la bonté de manger vos deux oranges tous les soirs, en attendant la saison des fraises et des cerises, et ce n’est pas par égard pour votre gouillaferie que j’insiste mais bien par sollicitude pour votre chère santé dont vous abusez tous les jours dans un travail sans relâche. C’est bien vrai, mon pauvre adoré, et il faut suivre mes conseils dans l’intérêt de ta précieuse et si chère vie. C’est avec des petites concessions de régime qu’on évite souvent des indispositions sérieuses ou des maladies graves. D’ailleurs il faut m’obéir aveuglément je le veux, ou je vous ficherai des coups pour vous convaincre.
Le temps est bien noir et bien menaçant. Je ne sais pas si je pourrai aller à Saint-Mandé ; mais dans tous les cas j’irai t’attendre ce soir à cinq heures à Saint-Sulpice. Si tu peux venir en allant à ta répétition, je serai bien heureuse de te voir. Je n’ose pas l’espérer cependant, connaissant tout ce que tu as à faire, mais je le désire de toutes mes forces et de toute mon âme. En attendant, je vais faire ta tisane et puis je m’habillerai si le temps n’est pas trop hideux.
Je t’aime mon Victor. Voilà ce que je trouve avant et après toute chose au fond de mon cœur qui est tout à toi.

Juliette

MVH, α 7891
Transcription de Nicole Savy


27 avril [1847], mardi midi

Le temps se lève et je crois qu’il fera assez beau tantôt. Cependant je ne suis pas encore décidée pour ma douloureuse visite. Il y a des moments où je recule devant ce triste pèlerinage, il y en a d’autres où il me semble que j’y puiserais des consolations et du courage. Je ne sais pas à quoi tient cette différence dans la manière de sentir, je la subis sans l’expliquer. Pour me résigner je pense à toi si bon, si doux, si grand, si noble, si généreux, si tendre et si charmant. Et puis je prie et je t’aime. Je trouve en mon amour pour toi la consolation de mon malheur passé et l’espoir de mon bonheur à venir. Le présent va comme il peut en glanant ça et là quelques minutes de ta présence et de temps en temps un baiser pris entre deux portes. Ça n’est pas beaucoup, surtout si je considère l’immense besoin de mon cœur, mais c’est assez pour ne pas mourir d’amour, affamé et desséché.
Tu vois mon pauvre bien-aimé que, quels que soit le jour, l’heure, le temps, je ne peux pas songer à autre chose qu’à toi, te parler d’autre chose que de mon amour. Cela doit t’ennuyer ou au moins te blaser. Mais que faire ? Ne pas t’écrire ? Mais j’en souffrirais beaucoup. Je ne trouve pas d’autre issue pour verser le trop-plein de mon cœur que de te gribouiller l’adoration sans borne que j’éprouve pour toute ta ravissante et imposante personne. Ne ris pas de mon exaltation, toute naïve et toute gauche qu’elle te paraisse, car je t’aime comme les anges aiment Dieu.

Juliette

MVH, α 7892
Transcription de Nicole Savy

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