6 mai 1877

Paris, 6 mai [18]77, dimanche, midi ¼

Je t’aime, mon grand bien-aimé, je t’aime ce mot dit tout. Je t’aime, aime-moi et soyons heureux et bénis l’un par l’autre autant que nous nous aimons. Il fait un temps exquis aujourd’hui, mais c’est dimanche, c’est-à-dire impossibilité d’en profiter à cause de la difficulté d’avoir une voiture et peut-être aussi à cause du coup de feu où tu es. Donc je compte passer la journée tranquillement à mettre mes affaires en ordre et à me mettre au courant des journaux que je n’ai pas pu lire hier. Je t’ai fait dire par Mariette que je gardais 600 F. par devers moi pour le linge quand on l’apportera. Tu verras alors les factures et tu pourras te rendre compte de l’emploi des mille francs sur lesquels j’ai prélevé, pour mes achats personnels, 300 F. ainsi que tu me l’avais permis. Quant aux comptes mensuels, ils sont là et rien ne me serait plus facile que de t’en donner le relevé si j’y avais un peu plus de temps dans la journée que je n’en ai, mes yeux ne pouvant plus me servir le soir pour cette besogne. Mais dès que je serai un peu moins fatiguée que maintenant, je me lèverai beaucoup plus tôt et j’en viendrai à bout tout de même. En attendant, mon cher petit homme, rapporte-t-en à moi, et si cela ne te suffit pas, tu peux vérifier au hasard mes comptes et constater leur honnête exactitude. Il paraît que nous n’aurons pas nos gens, comme on dit en Guernesey, à dîner ce soir.
Je t’ai vu, je suis heureuse, je t’adore et je pardonne papapa. Tant mieux si nous pouvons avoir une voiture tantôt ; dans tous les cas, bonheur partout puisque nous [nous] aimons comme deux bons petits amoureux que nous sommes et serons toujours.

BnF, Mss, NAF 16398, f. 122
Transcription de Guy Rosa