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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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19 mars 1847

19 mars [1847], vendredi matin, 10 h. ¾

Bonjour mon bien-aimé, bonjour, mon doux adoré, bonjour, comment va ton rhume mon pauvre petit homme ? Tu dois être bien fatigué et bien courbaturé ce matin surtout si tu t’es couché tard cette nuit. Il faut espérer que cette journée et la nuit prochaine seront moins laborieuses pour toi et que tu te reposeras un peu. Pour moi ce qui me fatigue c’est l’inaction, non de mes bras et de mon corps que je sais très bien occuper, mais de ma vie et de mon cœur que je ne sais à quoi employer quand tu n’es pas là : aimer toute seule c’est mâcher à vide, tourner dans une roue sans faire un pas, faire mouvoir une meule sous laquelle il n’y a rien. C’est ce qui m’arrive tous les jours en t’aimant de loin. C’est mon sort, je le sais et tu n’y peux rien, je le sais encore, aussi je ne t’accuse pas, je me plains au bon Dieu par qui toute chose arrive. Qui a fait ton génie pour briller et mon cœur pour t’aimer et pour souffrir. J’ai bien peur d’être méchante malgré moi ce matin. J’aurais dû m’abstenir et attendre à tantôt que la crise de tristesse et de découragement soit passée. D’un autre côté j’ai besoin de te dire que je t’aime plus que jamais.

Juliette

MVH, α 9143
Transcription de Nicole Savy


19 mars [1847], vendredi soir, 6 h. ¾

J’ai confiance en ta promesse, mon Victor bien-aimé, et j’attends mon heure avec courage. Cependant si tu étais prudent tu n’irais pas à cette soirée, tu viendrais te soigner chez moi au coin de mon feu. Ce serait le moyen de guérir ce rhume que les veilles assidues prolongent indéfiniment. Malheureusement le conseil que je te donne pour ce soir tu ne le liras que cette nuit, si tu le lis, et dans tout état de choses tu ne le suivrais pas. Je n’ai pas assez d’influence sur toi pour te faire faire même ce qui est utile à ta santé. Autrefois je ne dis pas. Mais à présent je ne suis bonne qu’à faire la serinettea [1] détraquée. Cela vous donne peut-être bon air à vos propres yeux mais aux miens je suis profondément humiliée. Prenez garde que je ne tombe sur votre [illis.] de poitrine et que je vous fasse un charivari sterling de concert avec tout ce qui me tombera sous la main. En attendant surveillez bien votre pauvre nez et tâchez de ne pas venir trop tard cette nuit. N’oubliez pas que je vous attends, que je vous aime et que votre nez pleure. Baisez-moi et aimez-moi pour être juste.

Juliette

MVH, α 9144
Transcription de Nicole Savy

a) « serinnette »

Notes

[1Orgue pour apprendre à chanter aux oiseaux, d’où : chant mécanique, répétitif.

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