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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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5 février [1847], vendredi matin, 11 h.

Bonjour mon Toto, bonjour comment allez-vous ce matin ? Avez-vous bien rêvé tableaux vivants et astronomie [1] ? Quant à moi je suis plus que jamais l’ennemiea des astronomes quels qu’ilsb soient et je goûte peu la morale en action représentée par des astres comme ceux-ci : [dessinc] ma vertu ne va pas jusqu’à ce degré d’austérité, j’aime mieux un peu moins de chasteté et un peu plus de chemise. C’est un goût que j’ai comme ça. Enfin on n’est pas parfait comme vous savez. L’apôtre Journet lui-même ne l’est pas. Cependant comme je ne veux pas que vous deveniez vertueux jusqu’à la sauvagerie et que votre pudeur arrive à la susceptibilité la plus farouche, je vous prie de cesser dès aujourd’hui le cours de [illis.] Montyon [2] et autres torses moraux et politiques. Si vous voulez absolument pratiquer la vertu et faire de temps en temps une petite étude astronomique vous trouverez chez moi, très incomplètementd j’en conviens d’avance, ce qu’il faut pour quelqu’un qui n’en fait pas son état. En attendant, je vous prie de ne pas pousser plus loin vos connaissances en la matière.
Que faites-vous, aujourd’hui, mon pair de France ? Je parle de la journée puisque je sais à quoi est destinée votre soirée ? Je vous vois si peu que je ne sais pas comment je vis et encore moins comment je trouve le courage de rire avec vous de toutes les choses qui me sont les plus tristes et les plus inquiétantes. Il faut que je sois bien sûre de mourir le jour où tu ne m’aimeras plus pour rester aussi calme et aussi résignée devant toutes les choses qui menacent mon bonheur.
Cher bien-aimé, je ne veux pas que cette folle lettre se termine par des choses douloureuses. Je ne veux y mettre de sérieux que mon amour qui est plus que jamais à toi. Quoi qu’il arrive je t’aimerai soit pour le bonheur de ma vie, soit pour mon malheur et ma mort. Il n’y a pas d’intermédiaire entre ces deux choses. Ainsi tu sais ce que tu veux faire de moi et ce ne sont pas ma prière et mes craintes qui peuvent y rien changer. À tantôt, mon Victor adoré, je baise tes chers petits pieds depuis le talon jusqu’à la racine de tes doux cheveux.

Juliette

MVH, α 7848
Transcription de Nicole Savy

a) « l’ennemi ».
b) « quelqu’ils soient ».
c) Dessin :

© Maisons de Victor Hugo / Ville de Paris

d) « incomptément ».

Notes

[1Hugo raconte en effet, dans Choses vues, qu’il a été introduit dans les coulisses d’un spectacle de tableaux vivants par le régisseur Villemot, à la Porte-Saint-Martin, à l’époque où l’on allait y reprendre Lucrèce Borgia : « Il me fit pénétrer dans un espace disposé derrière la toile, et éclairé par une herse et force portants. Il y avait là une vingtaine d’hommes qui allaient, venaient, travaillaient ou regardaient, auteurs, acteurs, pompiers, lampistes, machinistes, et au milieu de ces hommes, sept des femmes absolument nues allant et venant aussi avec l’air de la plus naïve tranquillité. » (édition de Franck Laurent, Livre de Poche, 2013, p. 138). La troupe venait d’Angleterre.

[2Voir la lettre du 3 janvier 1847.

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