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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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15 mai 1846

15 mai [1846], vendredi matin, 8 h.

Bonjour cher adoré, bonjour mon petit Toto chéri, bonjour je t’aime et vous ? Que je vous attrapea encore une fois à lever les yeux en l’air pour voir si les jeunes filles vous tomberont toutes rôties dans le bec et puis vous verrez ce que je vous ferai. Je n’ai pas besoin d’être la plus trompée des femmes, aussi je vous préviens que je me tiens sur VOS gardes. Je vous en préviens et repréviens comme les trois sommations des bons gendarmes, afin que vous ne l’ignoriez pas quand je tomberai sur vous à bras raccourcis.
Cher petit homme bien aimé, je ris avec vous ce matin parce que je vous aime et parce que ma fille a passé une bonne nuit. Je serais encore bien mieux s’il n’y avait pas deux lieues entre nous et si je pouvais espérer te voir ce matin. Le jour où nous reprendrons nos bonnes habitudes sera un des plus beaux jours de ma vie. D’ici-là, il faut que je sois bien courageuse et bien résignée et que j’aie toute confiance en ton amour. Cela ne m’est pas difficile quand tu es là, mais dès que tu me quittes, toutes mes terreurs me reprennent et tout mon courage s’en va au galop. Ce n’est pas de ma faute mais c’est peut-être de la vôtre. Taisez-vous ! La journée promet d’être bien belle aujourd’hui. Je donnerais bien des choses pour qu’il me fût possible de la passer à travers champs et à travers choux avec toi. Cela prouverait d’une part que ma fille est guérie et de l’autre que du as du loisir, deux choses qui manquent essentiellement à mon bonheur dans ce moment-ci. Eh ! bien je me contenterai à moins pour aujourd’hui, pourvu que tu viennes ce soir. Je ne me plaindrai pas et je me trouverai suffisamment heureuse. Hélas ! Il le faut bien quoique je sois de force à en supporter bien d’autre bonheur et que j’aie un appétit et des dents effrayantes. En attendant, je pense à toi, mon doux aimé. Je t’aime et je te désire de toutes mes forces et je t’embrasse des millions de fois.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16363, f. 49-50
Transcription de Marion Andrieux assistée de Florence Naugrette

a) « attrappe ».


15 mai [1846], vendredi après-midi, 3 h. ¼

J’espère encore que je te verrai tantôt, mon Victor chéri, et cela me fait prendre ton absence en patience mais, si contre mon attente, tu ne pouvais pas venir, je ne sais pas ce que je deviendrais jusqu’à demain soir. Je ne veux pas y penser d’avance pour ne pas m’ôter mon courage par anticipation. Il sera toujours temps quand l’heure sera tout à fait passée où je peux raisonnablement t’espérer. M. Pradier est venu ce matin voir sa fille. Tout en causant, il a parlé des inconvénients attachés au logement comme un homme qui n’y croit pas et qui pense que ce que le médecin et moi en disons, est, pour le premier, le désir de faire le plus de visites possibles, et pour moi, le besoin de me rapprocher de toi sans égard pour la santé de sa fille. En quoi il se trompe pour cette dernière chose et je le lui ai dit sans me gêner. Quant à Claire, interrogée par lui sur l’impression qu’elle en ressentait, elle a répondu qu’elle désirait rester pour reprendre plus vite des forces dès qu’elle pourra marcher. Entrait-il un peu de désir de faire plaisir à son père ? C’est probable et je le trouve tout simple, mais à peine M. Pradier a-t-il été parti que j’ai appris qu’il y avait depuis hier seulement un appartement au premier sur le devant tout meublé à louer. Déjà trois personnes sont venues le voir, ce qui fait que j’en ai donné avis tout de suite à Pradier afin qu’il vît s’il lui convenait de le louer moyennant 200 F. De plus, le propriétaire assure que celui que nous avons ne sera pas huit jours sans être loué, et même ce matin peut-être aurait-on fait affaire avec une dame si on l’avait su. L’appartement en question est bien plus grand et plus haut de plafond, plus aéré, deux excellents grands lits tout fraîchement refaits, une cuisine et une chambre de bonne sur le même palier mais hors de l’appartement enfin très habitable et excessivement propre. En donnant cet avis à M. Pradier j’ai voulu lui prouver que notre égoïsme n’entrait pour rien dans le projet de ramener Claire à Paris dès que les chaleurs viendront. C’est à lui de voir maintenant ce qu’il veut faire de son côté. Je crois que j’ai bien fait. Je voulais t’attendre avant de lui écrire mais j’ai craint d’une part que l’appartement ne fût loué tout de suite. Si j’ai mal fait c’est à bonne intention et en t’aimant de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16363, f. 51-52
Transcription de Marion Andrieux assistée de Florence Naugrette

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