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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 2 juin 1854, vendredi matin, 7 h.

Bonjour, mon cher petit bien-aimé, bonjour avec tout l’amour de mon cœur et toutes les tendresses de mon âme, bonjour. J’espère que tu as passé une bonne nuit et qu’aucun incident intérieur ou extérieur n’est venu troubler ton sommeil. Du reste tu feras bien de prolonger ta nuit le plus que tu pourras car le jour qu’il fait à ce moment-ci ne mérite pas qu’on le regarde. Il faut être comme moi tourmentée par l’insomnie et par le mal de tête pour se hasarder hors de son lit. Cela ne m’empêche pas de distinguer vaguement à l’horizon le fantôme d’un bateau à vapeur à travers le brouillard, de sourire à mes pauvres fleurs d’acacias, veuves de leurs feuilles, ce qui les fait ressembler à une réunion de jolies femmes sans hommes, de plaindre le sort d’un pauvre petit veau suspendu par les pieds la tête en bas dans la charrette du laitier de la mère Land, lequel crie, cogne, tempête et maugrée contre la paresse doublée de surdité de cette vieillarde jersiaise. Tout cela, mon cher adoré, aa une poésie mélancolique et froide qui n’est pas sans charme malgré l’ombre que projette ton absence sur ma vie et la tristesse que répand sur toute la nature ce ciel terne et sale comme un vieux torchon. Il y a bien longtemps que je ne t’ai pas écrit aussi matin, mon doublement adoré petit homme, et cependant rien ne m’est plus agréable et plus charmant que de commencer ma journée par un tendre pater d’amour à ton adresse mais si je ne le fais pas aussi régulièrement que je le voudrais, cela tient à ces absurdes soins du ménage que tu connais pour me les voir prendre ou me les entendre rabâcher en guise de conversation élégante et spirituelle. Ce matin le sommeil prolongé de ma vieille hôtesse m’a laissé tout le temps de t’aimer en toutes lettres alphabétiques. Aussi, loin de m’en plaindre, je pousse trois hourrahs de reconnaissance à la vieille Land. Hourrah ! pour la mère Land ! hourrah ! hourrah ! et vive Toto et l’amour !

Juliette

BnF, Mss, NAF 16375, f. 213-214
Transcription de Chantal Brière

a) « à ».

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