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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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18 décembre [1846], vendredi matin, 10 h.

Bonjour, mon petit bien-aimé, bonjour, mon adoré petit Toto, bonjour, je te baise depuis la tête jusqu’aux pieds, à l’envers et à l’endroit, au dehors et en dedans pour me rabibocher de ne vous avoir presque pas vu cette nuit. Ce sont des délicatesses pour mon sommeil que je vous prie de ne plus avoir parce que c’est mon bonheur qui en fait tous les frais. Je n’ai pas besoin de donner des louis d’or de mon bonheur pour les vieux sous vert-de-grisés de ma vie. Je trouve cela fort bête et d’une très mauvaise économie.
Quel beau temps aujourd’hui ! et dire que je ne pourrai pas en profiter, c’est triste. Du reste je suis toujours au même point : rien le matin. Je veux attendre jusqu’aux premiers jours de janvier pour être bien sûre de mon affaire après quoi nous ferons venir M. Triger et tu assisteras à cette humiliante cérémonie puisque tu crois que tu n’en éprouveras pas de mauvaise impression. Le bon Dieu aurait dû m’épargner cette odieuse corvée en m’envoyant une autre maladie. Enfin que sa volonté soit faite, il sait ce qu’il veut mieux que nous ne le comprenons nous-mêmes. Ce que je vois, ce que je sais, ce que je sens, c’est que tu es adorablement bon. Je n’ai pas trop de tout mon cœur et de tout mon amour pour t’en exprimer toute ma reconnaissance. Mon Victor je t’aime à genoux. Toutes mes pensées et tous mes désirs sont tournés vers toi. Je voudrais n’être plus qu’une âme pour ne te quitter jamais, si les âmes ont cette liberté d’être avec ceux qu’elles ont aimés sur la terre. Je t’aime, je t’aime, je t’aime !
J’ai copié hier au soir jusqu’à onze heures. Aujourd’hui il me reste peu de choses à finir et que je compte faire dans la matinée afin que tu sois forcé de m’en donner d’autre chapitre à copier. Si je n’avais pas eu cette bête de souffrance, il y a longtemps déjà que ce serait fait et que je saurais les tristes aventures de mon pauvre Jean Tréjean. J’ai une peur affreuse que tu ne le rendes trop malheureux. Je sens bien que c’est dans l’intérêt de tous ces pauvres parias que tu accumules tant de douleurs et tant de misère sur un pauvre être que le bon Dieu avait fait primitivement bon et inoffensifa. Mais cela aura l’inconvénient de serrer le cœur et de navrer l’âme de ceux qui te liront, si j’en juge d’après ce que j’éprouve. Pardonne-moi tous ces rabâchages de vieille portière sensible et aime-moi, cela ne sera que juste car je t’aime plus que ma vie, plus que tout au monde. Je t’adore, mon doux bien-aimé, de tout mon cœur.

Juliette

MVH, α 7826
Transcription de Nicole Savy

a) « innofensif ».

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