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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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29 août [1846], samedi soir, 4 h. ½

Voilà déjà mon feu d’artifice tiré, mon Victor, cela n’a pas été long, convenez-en. Cher adoré, je ne veux pas te grogner, car je sens tous les efforts que tu fais pour me donner ces quelques minutes si fugitives et je t’en suis on ne peut pas plus reconnaissante. Je partage ton inquiétude pour ton pauvre enfant [1], quoiqu’il me semble impossible que le bon Dieu veuille t’éprouver une seconde fois [2]. Mais c’est déjà trop de sentir son enfant malade, même quand on n’a rien à [illis.], puis je sens que cette triste préoccupation s’ajoute à ton travail et doit te le rendre plus fatiganta et plus pénible. Aussi, mon Victor bien-aimé, je me fais bien petite, afin de ne pas t’obséder de ma personne et de mon amour, quitte à exiger beaucoup dès que ton cher enfant sera guéri. D’ici-là je veux être très douce, très patiente et résignée. Je ne t’ai pas demandé si tu avais commission des auteurs [3] aujourd’hui. Cependant, il m’a semblé que tu te dirigeais de ce côté-là ? Nous verrons ce soir si je me suis trompée. Comme tu l’as vu, mon doux aimé, je suis entrée chez le bric-à-brac, lequel n’a pas été honteux de me faire ces panneaux de Beauvais rococo 150 francs pièce. Quant à la boiserie, elle n’y était pas. Le reste à l’avenant pour la porcelaine et autres tessons. Je m’en suis revenue comme j’y étais allée, avec l’indignation de plus, cependant. Du reste, je m’y attendais car le susdit marchand, ne s’y connaissant pas, aime mieux faire des prix fousb au hasard que risquer de vendre trop bon marché. Ce raisonnement, sans être trop profond, peut avec des imbécilesc être très productif.
Je ne sais vraiment pas pourquoi je te donne la peine de lire toutes ces [illis.] quand j’ai tant d’autres choses intéressantes à te dire. Il est vrai que si je te disais tout ce que j’ai dans le cœur pour toi, les pages, les volumes, les heures, les jours et les mois n’y suffiraient pas. Ce n’est pas une raison non plus pour employer si mal le peu de papier blanc que j’ai à ma disposition en te disant un tas de billevesées parfaitement indifférentes pour toi et pour moi. Le mieux serait de n’écrire qu’un seul mot : je t’aime, de la première ligne jusqu’à la dernière. Je t’aime, je t’aime, je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16364, f. 81-82
Transcription de Marion Andrieux assistée de Florence Naugrette

a) « fatiguant ».
b) « fou ».
c) « imbécilles ».

Notes

[1Charles Hugo est atteint de typhoïde.

[2Léopoldine Hugo est morte le 4 septembre 1843.

[3Depuis 1830, Victor Hugo est membre de la Société des auteurs dramatiques, également appelée commission des auteurs.

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