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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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30 septembre [1846], mercredi matin, 8 h.

Bonjour toi, bonjour donc vous tous les hommes grands et petits de la place Royale [1], bonjour, comment allez-vous, tas de scélérats ? J’espère que voilà un temps fait pour vous. Il n’y a pas de danger que le bon Dieu m’en donne à moi des temps comme ça. Son attention délicate consiste à me verser le plus d’eau possible sur le casaquin [2]. Il m’applique dans toute son étendue le système Leuret [3], mais je ne lui en ai pas la moindre reconnaissance. attrapéa !
Je compte sur vous pour ce soir et je viens de donner des ordres à ma cuisinière à ce sujet. Ne me faites pas la méchanceté de ne pas venir parce que vous me feriez un vrai et gros chagrin. Cher adoré bien-aimé, tu viendras n’est-ce pas ! Je me réjouis d’avance dans cette pensée que nous dînerons ensemble et je prends mon mal présent avec courage et résignation dans l’espoir si doux de t’avoir ce soir. Tu es resté bien peu cette nuit, vilain homme ? C’est une vilaine habitude que je vous ai laissé prendre et dont il faudra pourtant vous corriger. Autrefois vous travailliez autant et vous restiez jusqu’à deux et trois heures du matin et vous reveniez déjeuner avec moi. Autrefois vous faisiez cela mais à présent… Hélas ! Hélas ! Hélas ! et trois millions de fois hélas !

Pauvre Juju

BnF, Mss, NAF 16364, f. 163-164
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « attrappé ».


30 septembre [1846], mercredi après-midi, 1 h. ½

Il n’y a que l’espoir de dîner avec vous ce soir, mon doux adoré, qui puisse me faire supporter avec patience et courage votre absence d’aujourd’hui. Cependant vous seriez bien gentil de venir me dire un petit bonjour avant tantôt. Cela me rendrait si heureuse que je vous en aurais une reconnaissance éternelle. En attendant que cette bonne inspiration vous arrive, je vais me mettre à copire tout de suite d’arrache-plume.
Si ce beau temps continue, mon Victor chéri, votre Charlot fera bien d’en profiter et d’aller achever de se rétablir chez son ami Didier. Cela lui sera très certainement plus agréable que le ménage Georges [4] et ce pauvre Toto [5] pourra peut-être trouver là, en même temps, un lambeaua de vacance. Quant à moi, je ne sais pas ce que je pourrai y gagner parce que je ne suis plus assez sûre de votre empressement et de votre amour. Autrefois tout vous était une occasion de rester avec moi, maintenant c’est tout à fait le contraire. Aussi je ne comprends plus sur rien. J’attends, voilà tout. Demain il me semble que j’ai séance à l’Académie. Je n’y manquerai pas, vous pouvez y croire. Il en sera de même pour les suivantes ; je tiens beaucoup à gagner mon jeton de présence, quitte à n’en être jamais payée. C’est une idée que j’ai comme cela. Vous savez mon ami, les femmes ont des idées [6], même celles qui ont toutes sortes de bonnes raisons pour n’en avoir aucune, comme votre très humble servante Juju.

BnF, Mss, NAF 16364, f. 165-166
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « lambeaux ».

Notes

[1Hugo habite Place Royale, de 1832 à 1848, avec sa femme Adèle Foucher et leurs quatre enfants, un appartement de 280 m2 au deuxième étage de l’Hôtel de Rohan-Guémenée, n° 6.

[2Corsage de femme avec de petites basques dans le dos, formant deux gros plis à l’endroit de la ceinture et relevant en l’air. Il était facile à mettre et commode, et ne sert plus qu’à la campagne.

[3François Leuret (1797-1851), anatomiste et psychiatre français, définissait le délire comme une idée fixe à laquelle il convenait d’appliquer un traitement moral : le patient se voyait soumis à des douches glacées s’il refusait de renoncer à son délire.

[4Charles Hugo est allé passer sa convalescence chez les Georges, à Vert-le-Grand.

[6« Mon ami, vous savez bien que les femmes ont des idées », réplique de Catarina dans Angelo tyran de Padoue, Journée III, Partie I, scène 7.

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