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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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10 septembre [1846], jeudi matin, 7 h. ¼

Bonjour, mon cher petit homme, bonjour, mon bonheur, bonjour, comment va ton Charlot ce matin ? Toujours de mieux en mieux n’est-ce pas ? Pauvre enfant, il était temps pour lui, et pour vous tous, et pour moi, qu’il allât mieux car nous étions tous à bout de force, de courage et de confiance, moi surtout. Cher bien-aimé, cher adoré, mon Victor, ma joie, mon tout, je t’aime. Seulement je trouve que tu abuses trop des puces de Mamzelle [Bérurier ?]. Je te permets bien de regarder un peu mais je ne veux pas que tu la dévisages à ce point-là. Je sais bien que la curiosité des femmes est ton côté faible mais ce n’est pas une raison pour que ça dégénère en tic et en vice. Je ne le veux pas et je prétends m’y opposer de toutes mes forces. Taisez-vous, vilain, c’est très sale et très indécent ce que vous faites là. Plus j’y pense et plus je trouve votre conduite immorale et révoltante. Je suis sûre même que vous ne sortez tous les soirs à la même heure que pour voir toutes les boutiquières cherchant leurs puces aux croisées ouvertes ou sans rideaux. Et dire que vous allez distribuer aujourd’hui des prix de vertu [1] !!!!! Tout est possible, même que je vous aime de plus en plus malgré toutes vos turpitudes.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16364, f. 121-122
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette


10 septembre [1846], jeudi après-midi, 2h.

Je suis toute souffrante mon bien-aimé, je n’ai de force pour rien, tout m’est une fatigue et une douleur tant je suis courbaturée. Cependant, j’irai au rendez-vous [2], quand je devrais crever en chemin. Cela ne m’empêche pas de sentir la joie de savoir ton Charlot hors de danger et de t’aimer de toute mon âme. Cela m’empêche de me remuer et de penser, voilà tout, ça n’est pas bien effrayant comme tu vois. Il faut pourtant, malgré la courbature, que j’aille au mail tout à l’heure vous acheter du verjus [3] que je paierai probablement trois fois plus cher que le magnifique chasselas que vous m’avez empêchée d’acheter hier. Ça sera très bien fait, puisque c’est vous qui le mangerez, une autre fois vous ne ferez pas l’entendu et le connaisseur. Taisez-vous, il est probable que vous posez dans ce moment-ci devant les vieilles portières vertueuses, les duchesses qui ne le sont guère et les bas-bleus qui ne le sont pas. Jouissez de votre triomphe, je ne vous l’envie pas mais tâchez de ne pas me rapporter autant de poux que la dernière fois parce que cela me gratte trop. Sur ce baisez-moi et venez à 4 h. ½ si vous avez quelque pitié de votre pauvre vieille

Juju

BnF, Mss, NAF 16364, f. 123-124
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Les Prix de Vertu ont été décernés à l’occasion de la séance publique de l’Académie française du 10 septembre 1846. Il s’agissait d’un des trois prix Montyon remis annuellement, sous la forme de médailles ou récompenses, à des personnes méritantes.

[2Juliette Drouet désigne ainsi les rendez-vous que lui donne Hugo sur le chemin de la Chambre des Pairs ou de l’Académie.

[3Jus acide extrait de raisin blanc n’ayant pas mûri. Il peut remplacer le jus de citron ou le vinaigre dans les vinaigrettes, les moutardes, dans la préparation des plats de viande ou de poisson et, dans la préparation de sauces. Localement, au nord de l’Ardèche, c’est aussi un cidre fait avec des pommes sauvages.

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