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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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5 septembre [1846], samedi matin, 7 h.

Bonjour, mon bien-aimé, bonjour et, j’espère, bonheur et joie, car ton fils doit aller de mieux en mieux ? J’attends ma Joséphine avec ce doux espoir qu’elle m’apportera la nouvelle si désirée que ton cher enfant est tout à fait hors de danger. Quel bonheur mon Dieu dans votre maison, d’y penser j’en pleure de joie. Il faudra que tu me donnes pour ma part tout le temps dont tu pourras disposer. Même celui pendant lequel tu travailles car il suffit que je te voie pour être heureuse. Il paraît que nous n’avons aucune séance aujourd’hui ? Cela me vexea horriblement et je trouve très mauvais que sa majesté Louis-Philippe proroge les Chambres sans me consulter. J’ai envie de simuler un petit attentat pour forcer tous ces bons Pairs de France à reprendre leurs places sur leurs chaises…….c curules [1]. L’idée, pour n’être pas de moi, n’en est pas plus mauvaise et mérite quelque attention. J’y songerai. En attendant, je n’ai pas le plus petit prétexte [2] de m’accrocher à votre cher petit bras et de traverser la moitié de Paris, c’est bien chesse. Tâchez au moins de venir travailler de bonne heure, vilain paresseuxb, et puis pensez un peu à moi et baisez-moi bien vite et aimez-moi toujours, je le veux.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16364, f. 105-106
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « vèxe ».
b) « pâresseux ».
c) Il y a sept points de suspension.


5 septembre [1846], samedi après-midi, 4 h.

Quel bonheur, mon doux adoré, ton fils va de mieux en mieux et bientôt, il ne vous restera plus, de toutes ces atroces inquiétudes, que la joie de le savoir guéri [3]. Demain Joséphine ira pour la dernière fois s’informer de la nuit que ce cher enfant aura passée, après quoi il faudra me résigner à n’avoir de ses nouvelles que lorsque tu viendras. Ce sera bien long mais enfin j’attendrai, sûre que je serai qu’il n’y a pas de mauvaises chances possibles. Et puis je dois faire ce sacrifice à la vraisemblance de la sollicitude de M. le baron Feutrier.
Je vous assure, mon Toto, que j’étais très bien de force à aller hier à la séance des auteurs dramatiques. Je ne sais pas pourquoi vous m’avez privée de ce droit ? Une autre fois je vous prie de ne pas me fruster dans ma séance. Ah ! mais c’est que je ne plaisante plus dès qu’il s’agit de mes privilèges. Aujourd’hui j’espère que vous ne vous êtes pas permis aucune filouterie de ce côté-là ? Oh ! si je croyais cela je suis capable d’aller me promener sur le mail et d’acheter tout le raisin, y compris les bateaux et les bateliers. Taisez-vous, vous voyez bien que je suis en train d’avoir de l’esprit. Merci, je ne suis pas assez bête pour donner dans ce travers, je n’y suffirais pas avec vous. J’aime bien mieux boulotter [4] dans ma stupidité au jour le jour. C’est moins drôle et moins ruineux. Baisez-moi cher adoré. Je vous aime avec tout ça et toujours de mieux en mieux.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16364, f. 107-108
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Le siège curule était un des symboles du pouvoir à Rome. Pouvaient s’y asseoir les magistrats et promagistrats romains possédant l’imperium. Par extension, ce terme a désigné par la suite lesdits magistrats. À la fin de l’hiver 1846, Juliette Drouet réalise, à l’attention de Victor Hugo, une sorte d’ébauche du fauteuil des ancêtres, en décorant ce qu’elle appelle sa « chaise curule » dans sa lettre du 23 mars 1846, qu’il placera dans la salle à manger de Hauteville House à Guernesey.

[2On ne sait s’il y a là une allusion à la toge prétexte portée par les magistrats curules, afin de filer la métaphore.

[3Charles Hugo a contracté la fièvre typhoïde.

[4Terme vieilli : vivoter, aller doucement.

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