Paris, 14 mars 1880, dimanche matin, 8 h.
Cher bien-aimé, j’espère que ta nuit n’a pas été trop mauvaise malgré les quelques accès de toux que j’ai entendus à plusieurs reprises. En attendant que tu me dises toi-même ce que tu penses de ta nuit, je veux croire qu’elle n’a pas été trop mauvaise pour en faire la joie de ma matinée. Ce n’est que demain que le coiffeur pourra te couper la barbe et les cheveux, car aujourd’hui il enterre sa femme. Moi-même, je ne pourrai pas être coiffée avant ce soir. Le bonhomme du reste n’en paraît pas être autrement affecté, il a peut-être des raisons pour cela. Cela n’empêche pas le soleil de rougeoier, et la terre de poudroier, et les arbres de verdoyer [1] car il fait un temps exquis encore ce matin. Mme Pencquer t’envoie un morceau de brochure de vers à toi adressés à l’occasion de ton dix-huitième anniversaire [2], avec une lettre incandescente qui t’obligera à lui répondre tout de suite.
M. et Mme Lockroy ne déjeunent pas ici ce matin mais ils dîneront ce soir. Les enfants [3] et la gouvernante déjeuneront. Tu serais bien gentil de leur faire la surprise de déjeuner avec eux ce matin. Mais pour cela, il faut te lever avant midi. C’est ce que tu ne feras pas probablement, je le crains. C’est aujourd’hui jour d’argent de bougie et d’huile à lampe. Tâche de ne pas l’oublier pour m’épargner l’ennui de te le redemander à nouveau, car rien n’est plus maussade pour moi qui voudrais n’avoir qu’à t’aimer.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16401, f. 74
Transcription de Blandine Bourdy et Claire Josselin
a) « Pencker ».