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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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18 novembre [1849], dimanche matin, 8 h

Bonjour, mon Toto, bonjour, mon cher petit homme, bonjour, mon vieux avare, bonjour, je n’achèterai pas de rhum, et vous n’aurez pas ma natte de Tombouctou [1], c’est moi, Juju, qui vous en fiche mon billet. Quand vous voudrez prendre du grog vous vous adresserez à Olympe [2] ou à Poléma. C’est bien le moins qu’elles étanchent vos soifs de soiffeur puisque ce sont elles qui altèrent nos bonnes relations et qui me font sécher sur pied comme une victime de la monarchie.
[Dessina]
N’attendez rien de moi maintenant. Je suis désillusionnée, c’est assez vous en dire. Vous pouvez brûler votre chandelle par tous les bouts pour ces gracieuses cocottes, je ne m’y oppose pas, mais vous n’aurez pas mon héritage. Vous pouvez y compter comme si vous ne le teniez jamais. Je n’ai que ce seul moyen de me venger de votre infâme conduite et je l’emploierai jusqu’au bout. En attendant, je vous donnerai de la simple eau du ruisseau sans le plus petit assaisonnement. Je garderai mes douceurs les plus spiritueuses et les plus spirituelles pour ceux qui n’ont pas laissé éteindre leur feu et dont la chandelle n’est pas morte. Allez, maintenant, poussez votre pointe devant vous, je ne m’en inquiète plus car je sais ce qui peut vous punir et vous attraper le plus. Taisez-vous, vous n’aurez pas ma beurrière. Ah ! mais, ne vous y frottez pas davantage si vous ne voulez pas être aplatia sur toutes coutures et même sur votre nez de représentant don Juan. Tâchez de venir un peu plus tôt aujourd’hui si vous ne voulez pas voir la mine la plus grognon et la plus maussade de toute la France et de la Navarre. Déjà j’ai mal à la tête et il faudra bien peu de chose pour que cela s’étende jusqu’à mon cœur et tout ce qu’il contient. Si vous n’êtes pas le plus féroce et le plus malhonnête des hommes vous viendrez de bonne heure. Jusque là je vous attends sans beaucoup d’espoir et je vous aime de même.

Juliette

Médiathèque de Fougères, sans cote
Transcription de Florence Naugrette

a) Portrait de Hugo endimanché et bedonnant :

© Médiathèque de Fougères

b) « applati ».


18 novembre [1849], dimanche midi

Je ne sais pas si tu pourras venir de bonne heure, mon cher bien aimé ? J’en doute pour toutes sortes de raisons dont la première est ton peu de goût pour moi ; les autres découlent naturellement de celle-là et pullulent de jour en jour au point de ne pas te laisser une minute à me donner. Je m’en aperçois et je n’en suis pas plus heureuse, ce qui est fort bête et fort ridicule à moi, je le sais. Quant au dîner de Pradier si tu y vas je ne veux pas que ce soit sous le prétexte de me rendre service, chose dont tu ne peux pas être la dupe plus que moi et qui a l’inconvénient sérieux de me blesser dans le souvenir le plus triste et le plus saint de toute ma vie. Je veux qu’il soit bien entendu que tu vas chez cet homme pour ton plaisir et malgré la certitude de m’affliger et de m’inquiéter. Mais au moins ne fais pas cette profanation de te servir du linceul de ma pauvre fille pour cacher les plaisirs équivoques que tu vas chercher chez Pradier. Maintenant je te supplie de ne plus m’en parler. Fais ce qui te plaît sans dissimulation, ce me sera moins douloureux peut-être qu’en y ajoutant la tromperie honteuse et impie dont tu voulais te servir.
Quand je pense à toutes les choses tristes qui m’enveloppent de toutes parts, je m’étonne d’avoir le courage de vivre. Il est vrai que ce courage ne sert qu’à me rendre plus malheureuse et n’oblige personne. Alors à quoi bon l’avoir ? Je viens de pleurer un peu, mon cher bien-aimé, ce qui me permet de finir ma lettre plus tendrement que je ne l’avais commencée avec le cœur chargé de larmes. Je regrette tout ce que je viens de te dire dans un accès de souffrance que Dieu seul peut apprécier. Fais ce que tu voudras, aime-moi si tu peux et plains-moi car je suis digne de toute pitié puisque je souffre de toutes les souffrances de l’âme et du cœur.

Juliette

Collection particulière
Transcription de Jean-Marc Gomis

Notes

[1Allusions à élucider.

[2Vraisemblablement Olympe Pélissier.

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