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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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14 juillet [1849], samedi matin, 7 h. ¼

Bonjour, mon toto, bonjour, mon amour, bonjour, mon trop rare bien-aimé, bonjour. Je suis déjà lasse du poids de ton absence. La pensée que je ne te verrai que ce soir et pendant quelques minutes seulement, me pèse comme un fardeau que je n’ai pas le courage de soulever. Je devrais avoir la raison de t’épargner le tableau de cet ennui uniforme et monotone de tous les jours puisque tu n’y peux rien et que c’est le résultat ordinaire de la vie à mesure qu’on s’y enfonce davantage. Je me le dis tous les matins et je recommence dès que je te griffouille le moindre petit mot. Je suis pavée de bonnes intentions que je garde pour moi au lieu de te les jeter à la tête sous forme de résignation, c’est-à-dire de parfaite indifférence. Toute la nuit j’ai été en rêve dans ta maison au milieu d’une fête cauchemar et de laquelle je ne pouvais pas me dépêtrer. J’avais beau me réveillera, je reprenais toujours ce même rêve agaçant sans commencement ni fin. Il est vrai que les réalités de la journée ne me seront guère plus favorables, surtout si je ne dois pas te voir avant ce soir. Cependant, je veux terminer mon gribouillis par un semblant de courage et de patience en te promettant d’être très bonne, très résignée, très douce et très aimable jusqu’à ce soir. Voime, voime, crois cela et bois toute l’eau de ta fontaine, mon petit Toto, et tu n’iras pas de travers.

Juju

MVHP, Ms a8245
Transcription de Joëlle Roubine et Michèle Bertaux

a) « réveillée ».


14 juillet [1849], samedi matin, 11 h.

Je fais bien tout ce que je peux, mon doux adoré, pour supporter dignement ton absence. Ce n’est pas ma faute si je ne fais pas meilleure contenance. Peut-être que si je t’aimais moins je serais plus brave et plus héroïque, mais je ne le désire pas à ce prix-là. Est-ce que c’est décidé pour demain, la partie de Petit-Bourg ?
Peut-être serait-il prudent de savoir si le choléra est toujours aussi fort dans ces parages-là avant de t’y embarquer avec ta famille. Ce conseil n’est pas du tout à dédaigner quoiqu’il vienne de moi et qu’il soit fort intéressé. De toutes les manières, à ta place, j’y regarderais à deux fois avant de courir ce risque. Ce n’est pas que j’aie beaucoup à gagner à te retenir ici demain puisque je te vois à peine lorsque tu es à Paris et quand tu n’as rien à faire hors de chez toi. Mais ce qui me tient plus au cœur que mon bonheur particulier, c’est ta santé et je voudrais que tu ne la risquasses pas à propos d’une partie de plaisir, même remblayée d’une bonne action. Maintenant, mon petit homme, je t’ai dit ce que je crois prudent et raisonnable, dans l’intérêt de ta conservation, c’est-à-dire dans ce qui m’est plus cher que la vie, mais je n’ai pas la douceur d’espérer que tu prendras en considération ma prudence et ma sollicitude. Aussi, je m’attends à passer ma journée demain loin de toi, comme toujours, avec une inquiétude de plus. Voilà ce que c’est que de trop t’aimer et de n’avoir pas quinze ans de moins.

Juliette

MVHP, Ms a8246
Transcription de Joëlle Roubine et Michèle Bertaux

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