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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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2 novembre [1845], dimanche matin, 8 h. ½

Bonjour, mon bon petit taquin, bonjour, petit théorème, barème, carême et autre dilemmes dont vous ne savez, je suis sûre, que les premiers mots. Comment allez-vous ce matin ? Avez-vous bien dormi ? M’aimez-vous ? Que je vous voie dire que non et vous verrez comme je vous GRAFFIGNERAIa votre FARIMOUSSE depuis votre nez POMUCÈNE [1] jusqu’à votre NEZ HA ! LÀ [2] Ah ! Vous me dites des bêtises. Ah ! vous me traitez en OURS de la Porte-Saint-Martin [3] et autre Petit-Lazari [4]. Ah ! vous me faites monter à l’arbre. Ah ! vous êtes un monstre de méchancetés noires. Eh bien ! je vous le rendrai avec enthousiasme et nous verrons lequel de nous deux sera le plus mystifié. Faites-vous faire un HABIT, ça vaudra bien MIEURE que de m’escroquer mon veloursb. Donnez-moi une robe, ça vaudra encore bien plus MIEURE que de battre de faibles chiens errants sans défense. Donnez-moi de l’esprit, ça sera encore bien plus que mieure et je ne serai plus bête comme un.....c académicien qui n’a que ça à faire. Taisez-vous, vilain chinois, je ne vous écoute pas. J’ai très froid, voilà ce qui est trop vrai. Je ne sais plus où fourrer ce NEZ que vous mystifiez si bien. Je le voudrais dans un tui, il serait peut-être moins rouge, moins bleu et moins violet qu’à présent. En attendant, je grelotte comme un pauvre chien de chasse. Vous ne viendrez pas me réchauffer seulement, il n’y a pas de danger. Vous savez bien me faire enrager, mais voilà tout. Baise-moi, toi, je le veux ou je te fiche des coups, tu le MÉRITES bien. Baise-moi sur ce même NEZ, ta victime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16361, f. 111-112
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « je vous graffignerez ».
b) « mon velour ».
c) Cinq points marquent une pause syntaxique.


2 novembre [1845], dimanche après-midi, 4 h.

C’est peut-être spirituel, c’est peut-être beau, c’est peut-être honnête tout ce que vous me dites depuis hier, hein, méchant homme ? Si je voulais vous suivre dans cette voie absurde, ce n’est pas à vous que l’avantage resterait. Mais je veux être généreuse et vous laisser jouir, avec tous les nouveaux nez que vous fereza d’ici à demain. Mettez bien le temps à profit parce qu’une fois le délai expiré, il n’y aura plus que des nez Morin [5] qui pourront se hasarder sur la place. Baisez-moi, taisez-vous et aimez-moi. Vous savez que j’attends Mme Triger et son fils aujourd’hui. Seulement comme c’est à Suzanne à qui elle a dit qu’elle viendrait, je crains qu’il n’y ait quelque bévue sous roche et que j’en sois pour mon dindonneau, ma salade et ma BELLE ROBE. Si cela était, je serais furieuse parce que je n’aime pas à faire faire des grosses bêtes pour moi toute seule. En attendant que ce fait s’éclaircisse, j’éternue comme plusieurs gendarmes. Mon papier est tellement humide que je ne peux plus écrire dessus. Vous avez tellement tourmenté mon pauvre nez qu’il ne sait plus où il en est. Adchi, adchi, ad, ad, ad chiiiii. Il ne me manquait plus que ça pour être belle. Je suis très malheureuse, très blaireuse et très marécageuse. J’éprouve le besoin de me moucher et de vous fiche des coups à trique que veux-tu ? Si vous veniez dans ce moment-ci, je m’en passerais l’envie avec volupté.
Toto, donne-moi une robe. Toto, fais-toi faire un habit. Toto, donne-moi 50 francs pour m’acheter un petit coromandel [6]. Toto, [achète  ?]-toib une petite SCIE À TIQUE. Je te prêterai mon [illis.], sur l’air du tralala déridéra lala. Baise-moi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16361, f. 113-114
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « que vous que vous ferez ».
b) « ache-toi ».

Notes

[1allusion à Nepomucène Lemercier, académicion élu le 11 avril 1810. Ennemi de Victor Hugo, il s’opposa à son élection à l’Académie française. Ironiquement, après sa mort survenue le 7 juin 1840, Victor Hugo avait été élu à son fauteuil le 4 janvier 1841.

[2Grafigner : égratigner.

[3À cette époque, la Porte-Saint-Martin montrait des performances animalières.

[4Le Petit-Lazari est un théâtre populaire.

[5À élucider.

[6Dans sa lettre du samedi 4 octobre au matin, Juliette évoque une commode en laque de Coromandel (laques originaires de Chine exportés en Europe durant la seconde moitié du XVIIe et au XVIIIe siècles, et alors très en vogue). Juliette et Victor s’en disputent la possession.

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