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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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28 août [1845], jeudi après-midi, 5 h. ¼

J’étais si malade hier au soir, mon cher petit homme, qu’il m’aurait été impossible de te gribouiller quoi que ce soit. Tu vois du reste que je me dédommage aujourd’hui. Je ne suis pas si bête que de me frustrer moi-même. C’est bien déjà trop que vous me repreniez le soir ce que vous m’avez donné le matin et réciproquement sans que je vous y aide en me prenant à moi-même la pauvre petite joie de vous écrire un tas de tendres niaiseries. Mais je voudrais te voir et savoir ce que pense M. Louis. Si tu ne viens pas avant ce soir, je serai bien triste et bien malheureuse. Il m’est impossible de ne pas me tourmenter quand je te sais souffrant. Tâche donc de venir, mon Victor adoré. Je te dis cela comme si tu pouvais l’entendre et céder à mes prières en accourant tout de suite, tandis que, quand tu liras ce gribouillis, je t’aurai vu et je me serai probablement tourmentée toute la soirée. Dieu veuille que non, car j’en ai vraiment assez de tout ce que j’ai déjà souffert pendant ta maladie. J’espère encore, quoiqu’il soit déjà bien tard.
Pauvre ami, pour comble d’ennui et d’embarras, ta maison va se trouver sans aucun domestique demain. Qui est-cea qui te fera ta tisaneb, tes remèdes et tes bains si M. Louis en ordonne ? Je suis toute prête, moi, mais pourras-tu venir les prendre ? Tu vois que je ne manque pas de sujet d’inquiétude. Tâche de venir m’en ôter quelques-uns tout à l’heure si tu peux. En attendant, je te baise, je te désire, je t’attends et je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 200-201
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « qu’est-ce qui ».
b) « ta tisanne ».


28 août [1845], jeudi après-midi, 4 h. ½

Tu souffres, mon cher bien-aimé, cela m’attriste et m’inquiète, car je crains que tu ne forces un peu ta convalescence. Je ne peux pas te savoir souffrant sans ressentir moi-même un malaise moral et un serrement de cœur inexprimable. Je trouve cela si injuste de la part du bon Dieu de faire souffrir un pauvre être comme toi si bon, si doux, si généreux, si dévoué, si courageux, si noble et si grand, que je voudrais pouvoir lui dire toutes sortes de méchancetés pour lui apprendre à faire mieux son métier de bon Dieu que ça. Je ris, mon doux bien-aimé, quoique je n’en ai pas la moindre envie mais c’est pour te plaire et pour t’obéir, ce que j’en fais. Souris-moi, porte-moi, as-tu soif  ? A-t-il crié quand il t’a mordua [1] ? Tu vois que je repasse tout ton répertoire de facéties, mais ce qui pourrait me rendre geaie comme plusieurs pinsonsb, ce serait de te savoir guéri.
M. Louis doit venir ce soir. Je voudrais déjà savoir ce qu’il pense de cette petite recrudescencec d’inflammation et ce qu’il ordonnera définitivement pour les bains de mer, s’il les juge nécessairesd. Mon Toto adoré, il ne faut pas s’avancer à les prendre, avant tout ta santé. Oh ! oui, avant toute chose au monde, avant ma vie, avant mon bonheur, ta chère petite santé. Je te promets, mon Victor bien aimé, d’avoir du courage et de supporter aussi bravement que je le pourrai le temps que tu mettras à te guérir loin de moi. Quand tu te portais bien, cela ne m’aurait pas paru possible mais depuis que tu souffres, je me sens capable de tout pour te guérir. Aussi c’est moi qui te supplie du fond du cœur de ne pas résister aux conseils de M. Louis quels qu’ilse soient. Je suis impatiente de savoir comment il t’a trouvé et ce qu’il t’a dit. Mon Victor bien aimé, est-ce que tu ne viendras pas me le dire avant le dîner ? J’ai bien besoin de te voir, mon Toto, j’ai mon pauvre cœur bien gros. Est-ce que tu ne viendras pas une petite minute tout à l’heure ? J’espère que si, car si je ne l’espérais pas, je crois que je pleurerais de toutes mes forces. N’est-ce pas, tu viendras ? Merci Toto, merci mon Toto, je t’aime. Quand tu voudras que je te fasse ta tisanef, je suis toute prête. Que ne puis-je faire chez toi la besogne de tout le monde, comme je remplacerais avec joie Étienne et Mélanie, comme je mettrais toutes les FAUMES à la porte, comme je vous garderais à vue et comme j’aurais soin de vous, comme je vous ferais danser autre chose que l’anse du panier [2] en mettant toutes vos visiteuses à la porte. Hum ! vous n’êtes pas si bête que d’en essayer, scélérat, vous tenez bien trop à toutes ces cocottes plus ou moins huppées. Que je vous voie, je vous ficherai des bons coups.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 202-203
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « t’a mordue ».
b) « pinçons ».
c) « recrudenscence ».
d) « nécessaire ».
e) « quel qu’ils ».
f) « ta tisanne ».

Notes

[1S’agit-il d’une citation ? À élucider.

[2L’expression « faire danser l’anse du panier » provient de l’idée selon laquelle les domestiques, qui font les courses pour leurs maîtres avec un panier, présentent une facture supérieure au coût réel des achats, et tirent ainsi profit de leurs courses. L’expression familière est donc plus généralement synonyme de « profit illicite » fondé sur une infidélité dans les dépenses que l’on est chargé de faire pour le compte d’autrui. [Remerciements à Sylviane Robardey-Eppstein].

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