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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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26 mai 1845

26 mai [1845], lundi matin, 9 h. ¾

Bonjour, mon Toto bien-aimé, bonjour, mon Victor adoré, bonjour, je t’aime.
Je vous rends justice, mon Toto, vous avez été cette nuit, du moins vous auriez pu être, plein de courage et d’héroïsme. J’ai reculé lâchement et platement, je l’avoue. C’est ma faute, c’est ma faute, c’est ma très grande faute. Je vous en demande mille millions de fois pardon et je ne le ferai plus.
Jour, Toto, jour, mon cher petit o, Juju est une grosse bête. Oh ! que je vous voie dire ça. Je vous ficherai des coups.
Je viens d’avoir avec Claire une conversation qui me dispense d’écrire à son père ainsi qu’à Mme Marre. Elle comprend qu’il vaut mieux que la chose se passe entre elle et moi que de mettre tout le monde dans la confidence de nos projets et de nos craintes. Ce sera donc d’elle-même qu’elle renoncera à ces leçons parce qu’elle n’a pas le temps d’ailleurs de les prendre sans nuire à ses autres études. Je l’ai trouvée pleine de raison, d’innocence et de sérénité à ce sujet. Son imagination pas plus que son cœur ne se sont éveillés à l’endroit du susdit professeur. Tantôt elle ira à la ville. Elle est pleine de courage et pleine d’ardeur dans ce moment-ci. Elle sent tout ce que tu veux et tout ce que tu peux faire pour elle. Elle en est pénétrée de reconnaissance et de bonheur. Aussi elle est trop heureuse et trop occupée de ses devoirs pour avoir entendu le toc-toc-Maillet [1] que nous redoutions. Tout est pour le mieux, mon adoré, si tu m’aimes. Je te remercie ou plutôt je t’aime de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 223-224
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette


26 mai [1845], lundi soir, 6 h. ½

Mon bien-aimé adoré, je ne t’ai pas encore vu. Aussi j’ai mon pauvre cœur bien gonflé. Je prie le bon Dieu bien ardemment de t’envoyer bien vite afin que j’aie un rayon de joie pour attendre jusqu’à la nuit prochaine quand tu reviendras.
Ma pauvre Claire a fait une course inutile et perdu une journée pour rien. Après avoir été à la ville et avoir attendu jusqu’à l’ouverture de la séance, elle s’est aperçuea que, contrairement aux habitudes de cette boutique, on avait transposé le jour du second examen dans le jour du premier, de sorte qu’elle est revenue toute contrariée. Je l’avais laissée maîtresse de rester à dîner ou de s’en retourner tout de suite à la pension. Elle a eu le courage de vouloir s’en aller sur le champ mais en l’embrassant à la porte, j’ai vu que la pauvre enfant avait ses yeux pleins de larmes. Cela m’a serré le cœur, car je sais par expérience combien les jours heureux deviennent de plus en plus raresb au fur et à mesure qu’on avance dans la vie, et je trouve qu’elle commence bien tôt à s’en apercevoir. Enfin Dieu est grand, il la récompensera peut-être plus tard de toutes les petites précoces tribulations qu’elle supporte maintenant.
J’ai vu la mère Ledon qui m’a raconté un tas de bavardages insignifiants sur le Théâtre-Français. Je te les redirai quand nous n’aurons rien de mieux à faire. D’ici là, je t’attends, je te désire et je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 225-226
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « elle s’est aperçu ».
b) « rare ».

Notes

[1Comptine populaire chantée habituellement aux enfants : « Menton d’argent, nez doré, bouche de rubis, yeux de diamants, toc-toc, Maillet ».

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