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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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1er mai 1845

1er mai [1845], jeudi matin, 11 h. ¼

Ta petite lettre [1] est venue bien à propos, mon doux aimé, pour m’empêcher de me livrer à un découragement profond et à une noire tristesse. Aussi je l’ai accueilliea comme on accueilleb une goutte d’eau fraîche quand on meurt de soif, comme une goutte de joie quand on brûle d’amour et de désir. Je l’ai baisée même avant de l’ouvrir. Je l’ai baisée à tous les mots, à toutes les lettres et puis j’ai recommencé à la baiser dans tous les sens. Chère petite lettre, je la trouve bien courte mais bien bonne. Il me semble qu’elle a une petite âme, pour conserver l’expression de Toto, et qu’elle sent mes baisers et qu’elle y répond. Je te remercie du fond du cœur de me l’avoir écrite.
Je t’ai attendu jusqu’à une heure et demie cette nuit. Je n’ai éteint ma lampe qu’à cette heure-là. Je me suis endormie tristement, ce qui est cause que j’ai fait de vilains rêves toute la nuit. J’en fais rarement d’autres. Aussi ta chère petite lettre est-elle arrivée à point pour dissiper tous les gros nuages noirs amoncelés dans mon pauvre esprit. Maintenant, sans être précisément heureuse, je sens un bien-être dans l’âme comme lorsqu’on a pansé avec un baumec calmant une plaie vive et brûlante. Je t’attends avec calme et je te verrai avec bonheur sans aucune récrimination amère sur la triste et longue nuit que je viens de passer. D’ici là, je vais encore relire et rebaiser ta chère petite lettre et faire ta tisaned.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 119-120
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « accueuillie ».
b) « on accueuille ».
c) « pensé avec un beaume ».
d) « ta tisanne ».


1er mai [1845], jeudi après-midi, 3 h. ½

Il m’est impossible d’être gaie, mon bien-aimé, puisque je suis sûre d’avance de ne pas te voir ce soir. Tout ce que je peux faire en relisant ta lettre, en la baisant et en l’appuyant très fort sur mon cœur, c’est de n’être pas très malheureuse. Je ne peux pas faire davantage, mon bien-aimé, à moins de ne pas t’aimer sans partage comme je le fais. Quand tu me manques, tout me manque : plaisir et bonheur. La vie ne m’est rien sans toia. Ordinairement l’amour se tranquillise avec les années. Moi, le mien est plus actif et plus dévorant que jamais. Ça n’est pas de ma faute. Peut-être est-ce la tienneb. Pourquoi es-tu plus beau, plus jeune, plus charmant et plus ravissant que jamais ? Répondez si vous pouvez et si vous l’osez.
En attendant, je ne veux pas que tu me croies ingrate et insensible à ton adorable petite lettre [2]. Sans elle, qu’est-ce que je serais devenue aujourd’hui, mon Dieu ? Avec elle je ne suis pas gaie mais je suis résignée à mon sort. Je t’attendrai sans désespoir grâce à ta chère petite lettre. Merci, mon adoré, d’avoir eu le courage et la pensée de me l’écrire sous les regards curieux de tous ces pairs de France et de Navarre. Merci et amour à toi que j’aime plus que plein mon cœur. Quand je me sentirai défaillir ce soir, je la lirai et je la baiserai et mon courage reviendra. Pourvu cependant que tu ne le mettes pas à une trop longue et trop rude épreuve.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 121-122
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
[Souchon]

a) Paul Souchon lit : « La vie n’est rien sans toi ».
b) Paul Souchon lit : « Peut-être est-ce de la tienne ? ».

Notes

[1Victor Hugo a écrit à Juliette Drouet le mercredi 30 avril (1845) : « Pendant que le prince de la Moskowa s’escrime contre le ministre des finances, je songe à toi, mon pauvre ange bien-aimé, et je t’écris sous les yeux d’une foule de gens graves qui me regardent et m’observent. Je viens seulement te dire que je t’aime, que tu es ma pensée parce que tu es ma vie. Pense à moi comme je pense à toi » (Massin, t.VII, p.842 ; Blewer, Lettres à Juliette Drouet, p. 132).

[2Victor Hugo a écrit à Juliette Drouet le mercredi 30 avril 1845, lettre reproduite dans notre édition de la première lettre du 1er mai 1845 (NAF 16359, f. 119-120).

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