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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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20 janvier [1849], samedi matin, 8 h.

Bonjour, mon Toto bien aimé, bonjour. Je ne t’ai pas vu hier. Bien que tu m’en eussesa prévenue, j’en ai été et j’en suis encore toute affligée. Je crains ne pouvoir jamais m’habituer à ce changement dans tes habitudes. D’abordb parce qu’il dénonce un changement encore plus douloureux dans ton cœur. Je devrais m’abstenir de t’écrire parce que je te répète toujours la même chose et que cette chose n’est ni drôle, ni gaie, ni amusante. Je comprends qu’on mette du persil autour du bœuf, du cresson autour d’un rôti, mais s’il n’y a ni bœuf, ni rôti, à quoi serventc le persil et le cresson ? Quand tu m’aimais, quand il n’y avait aucune solution de continuité [1] entre ton cœur et le mien, il était tout naturel de faire foisonner mes tendresses autour de mon amour en gribouillis touffus. Mais aujourd’hui que la disette et la famine sont dans notre bonheur, quel sens cela a-t-il ? Tu devrais me laisser supprimer cette habitude qui n’a plus de raison d’être et qui ne sert qu’à t’ennuyerd et à me rendre ridicule et insupportable à tes yeux.

Juliette

Leeds, BC MS 19c Drouet/1849/24
Transcription de Véronique Heute assistée de Florence Naugrette

a) « eusse ».
b) « dabord ».
c) « sert ».
d) « t’ennuier ».


20 janvier [1849], samedi matin, 11 h. ½

Je ne sais pas à quelle heure tu viendras, mon doux adoré, mais dans la crainte de te faire attendre ou de manquer l’occasion de t’accompagner à la Chambre, je me dépêche de m’apprêter. Je suis triste et tu n’en seras pas étonné, car tu sais que je t’aime avec toute l’impatience, toute la passion, toute la susceptibilité, toute la tendresse et toute la jalousie d’autrefois. Je me suis tellement attardée sur ce chemin d’amour que je ne me suis aperçue que trop tard que tu avais marché sans moi et que tu étais arrivé depuis longtempsa à la fin du pèlerinage. Maintenant, pendant que tu te reposesb calme et fort et prêt à revenir sur tes pas en compagnie d’une autre camarade de route plus alerte que moi, je reste triste et découragée à la place où tu m’as laissée. J’attends que l’omnibus du bon Dieu me recueillec pour me mener plus vite à la fin de tout voyage. Mon Victor bien aimé, je voudrais que tu me permettes de ne plus t’écrire parce que cela ne me rend plus heureuse, car j’ai la conviction que tu ne lis mes gribouillis que par pure complaisance et comme un devoir ennuyeuxd et pénible. N’y fais pas de façon, mon adoré, et dispute-moi de cette douce habitude que le bonheur m’avait fait prendre et qui n’est plus maintenant qu’une formalité absurde. Je t’en prie au nom de tous les deux.

Juliette

Leeds, BC MS 19c Drouet/1849/25
Transcription de Véronique Heute assistée de Florence Naugrette

a) « long-temps ».
b) « repose ».
c) « receuille ».
d) « ennuieux ».

Notes

[1« Solution de continuité » : interruption. (Littré).

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