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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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26 juillet [1845], samedi matin, 9 h. ½

Bonjour, mon aimé, bonjour, mon adoré Toto, bonjour, comment vas-tu ce matin ? Comment m’aimes-tu ? Moi je vais très bien et je t’aime de toutes mes forces et de tout mon cœur. Depuis ce matin je suis en chasse dans mon jardin après un hideux chat de gouttière maigre, laid, dégoûtant qui ravage toutes mes fleurs. Jusqu’à présent, Suzanne, Fouyou et moi, nous n’avons pas pu le faire sortir du jardin. Il grimpe sur le prunier et se tient sur le mur de Lagarique [1] d’où il redescend dès que nous sommes hors du jardin. Cette conduite m’exaspère et je crois que j’ai TRÈS SOIF. Il ne faudrait rien moins que la vue de ton HABIT NEUF pour me calmer les NERFS. Malheureusement il est encore chez ton tailleur et puis tu n’es pas homme à m’en donner l’ÉTRENNE. Je bisque, je rage, je suis furieuse contre ce mâtin de chat.
Jour, Toto, jour, mon cher petit o, Juju est bien en colère, ce qui ne l’empêche pas d’aimer son Toto et de rire avec lui de loin. Elle rirait encore bien mieux de près, mais il faudrait que le Toto s’approche, ce qui n’est pas facile avec le travail et le rhumatisme qui le tiennent. Il faut donc qu’elle se contente de ce qu’elle a, c’est dire de rien du tout et qu’elle fasse contre l’absence bon cœur, ce qui n’est rien moins qu’amusant.
Mon cher petit homme adoré, comment va ton bras ce matin ? Tu t’entêtes à ne pas te faire frictionner mais moi je crois que cela te ferait du bien. Qu’est-ce qu’il en coûte d’essayer ? Si tu souffres encore tantôt, je te frotterai ton petit bras de force. En attendant, baisez-moi et BUVEZ puisque vous avec SI SOIF. Faites-vous faire un HABIT puisque le vôtre n’esta plus bon que pour la solennité du mardi....-GRAS. Et puis aimez-moi ou je vous fiche des coups.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 75-76
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « n’ait ».


26 juillet [1845], lundi après-midi, 5 h.

Tu es mon amour de plus en plus aimé, tu es mon Toto doux, taquin, charmant, altéré, ravissant et bien mis. Je t’adore, je te désire, je t’attends, je suis ta pauvre Juju folle de son Toto. Dans la crainte que tu ne sois obligé de reporter tout de suite le fameux feuilleton Jockey-Club [2], je me suis hâtée de le lire pour ne pas compliquer ta position vis-à-vis les amateurs enragés de ce genre de littérature. Cette course de poneys littéraires n’est pas sans intérêt surtout pour les désœuvrés comme moi. Quand je dis désœuvré, cela ne veut pas dire que je tourne mes pouces ou que je crache dans mes tonneaux pour faire des ronds. Cela veut dire que je suis toujours seule avec ma pensée, ce qui est une médiocre compagnie. Aussi ai-je besoin que quelque chose ou quelqu’un lui vienne en aide de temps en temps. C’est ce qui me fait rechercher les distractions les plus à portée de moi et puis cela ne vous regarde pas. Je ne vous défends pas de lire les mémoires plus ou moins agronomiques et les ORGUES les plus variées. Laissez-moi barbotera dans vos journaux comme je l’entends. Cela ne vous empêchera pas d’avoir SOIF et de mettre votre habit NEUF. Sur ce, baisez-moi et venez bien vite, je vous l’ordonne.
Pauvre amour, si tu marches depuis que tu m’as quittéeb, tu dois être bien fatigué. Il serait bien temps de venir te reposer auprès de moi. Je serais si contente de t’avoir là sur ma grande chaise jusqu’à l’heure de ton dîner que tu devrais me donner cette joie bien vite, ne fût-cec que pour voir mon bonheur et mon ravissement. Mon petit bien-aimé, entends-moi, je t’appelle, je te désire et je t’attends de toutes mes forces.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 77-78
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « barbotter ».
b) « tu m’as quitté ».
c) « ne fusse ».

Notes

[1À élucider.

[2Juliette évoque un épisode du Comte de Monte-Cristo, roman d’Alexandre Dumas, publié en feuilleton dans le Journal des Débats du 28 août 1844 au 15 janvier 1846. Dans le numéro du mercredi 23 juillet 1845 commence la parution du chapitre « Robert-le-Diable ». Une conversation entre Chateau-Renard et Albert de Morcerf évoque des courses de chevaux et plus particulièrement le prix du Jockey-Club. [Remerciements à Jean-Marc Hovasse].

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