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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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15 juin 1845

15 juin [1845], dimanche matin, 10 h.

Bonjour, mon Toto bien-aimé, bien adoré et bien désiré, bonjour, comment vas-tu ce matin ? As-tu fini par étancher ta soif, mon cher petit SOIFFARD  ? J’ai déjà retenu une bouteille de bière pour vous ce soir. Vous voyez que je suis de précaution. J’avais déjà préparé mon papier à 8 h. du matin pour t’écrire lorsque la mère Sauvageot est arrivée me faire des offres de services que je n’ai pas acceptéesa parce que j’aime mieux aller dans un magasin, puisque tu m’en donnes la permission. Au moins je pourrai choisir à mon aise sans être forcée de m’en rapporter au goût de cette pauvre badoularde [1]. Sa visite m’a menée jusqu’à l’heure du déjeuner et du déjeuner jusqu’à présent. Mais tout cela ne m’empêche pas de penser à toi et de te désirer, au contraire. Ce sont des petits obstacles qui font ressortir plus vivement le besoin d’être avec ta pensée et avec toi.
Je vais donc aller voir ma péronnelle tantôt. Je lui dirai tout ce que tu m’as dit pour faciliter ses études. Je lui recommanderai surtout une profonde attention dans tout ce qu’elle écrit, car la plupart des fautesb qu’elle fait ne sont pas des fautes d’ignorance mais des fautes d’attention. Enfin je ferai de mon mieux pour la convaincre de la nécessité de lire sérieusement et attentivement et d’écrire de même et en analysant mot à mot dans sa pensée. Si tu pouvais m’y conduire ou venir m’y rejoindre, tu me comblerais de joie, mais je n’ose pas l’espérer.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 299-300
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « accepté ».
b) « des faute ».


15 juin [1845], dimanche soir, 8 h.

Je t’ai laissé partir, mon doux bien-aimé, sans te faire penser à baigner tes pauvres beaux yeux. Je t’en demande pardon comme d’une mauvaise action et je m’en veux autant que si c’en était une. Je ne devrais jamais oublier tout ce qui peut te faire du bien ou te faire plaisir. Chaque fois que cela m’arrive, j’en suis triste dans le fond de mon cœur. Si j’avais pu recourir après toi, je t’aurais ramené de force pour baigner tes yeux que le soleil et la poussière ont dû fatiguer.
Cher adoré, il me semble que tu étais triste tout à l’heure ? Est-ce que tu étais mécontent ou contrarié contre quelqu’un ou de quelque chose ? Ce n’est pas contre moi, je l’espère, car je n’ai rien fait sciemment pour cela. Toutes mes pensées sont à toi, tout ce que j’ai de bon et d’aimant est tourné vers toi, je ne vis que par toi et je ne vis que pour toi. Tu es la lumière de mes yeux et le soleil de mon âme. Quand je te vois, il me semble qu’une porte d’or s’ouvre devant moi et que je vois le paradis. Mon Victor éblouissant, mon grand poète, mon sublime amant, personne ne t’aimera comme moi. L’amour de toutes les femmes réunies ne ferait pas un atome du mien. Aussi, mon Victor chéri, je ne peux pas supporter la pensée de te savoir fâché ou triste. Ce soir il m’a paru que tu l’étais et tant que je ne t’aurais pas revu, je serai tourmentée. Tâche de venir le plus tôt possible, mon adoré, que je sache si je me suis trompée et pour t’aider à force de caressesa et d’amour à oublier tes ennuis, si tu en as. En attendant, je baise ton ravissant petit pied malade.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 301-302
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « de caresse ».

Notes

[1Badoulard est un personnage de comédie, type de l’homme commun, idiot et naïf.

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