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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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11 juin 1845

11 juin [1845], mercredi matin, 8 h. ½

Bonjour, mon Victor aimé, bonjour, mon Toto adoré, bonjour, mon cher petit homme ravissant, bonjour, je t’aime. Tu n’as pas voulu rester cette nuit, pourtant j’étais parfaitement éveillée, je t’assure. Si c’est par excès de délicatesse à mon sujet que tu ne fais qu’entrer et sortir quand tu viens la nuit, tu as le plus grand tort parce que, loin de me faire plaisir, cela m’afflige. Aussi, mon cher petit Toto, je te supplie d’être sans pitié pour mon sommeil et d’avoir un peu plus d’égards pour mon pauvre cœur.
Je ne t’ai pas écrit hier au soir parce que je me suis sentie si courbaturée que je n’ai eu que le temps de me mettre au lit. C’était plus des douleurs dans les jambes que de la fatigue. Ce matin je n’y pense plus et je suis prête à aller au Vignemale [1] avec toi, si le cœur t’en dit.
C’est demain que ma grande péronnelle se remet en mouvement pour ce fameux examen [2]. Nous verrons si elle réussira. Je suis si lasse de ces inutiles tentatives que j’aurais désiré que la chose eût lieu entièrement demain. Enfin ce sera toujours un commencement. Pourvu qu’elle le passe bien, il y aura espoir pour le reste. Mme Marre a été très bonne femme pour elle. Cette femme gagne à être connue. D’abord on ne voit que la raideur et les ridicules inhérents à son état, mais ensuite on s’aperçoit de sa bonté et de sa cordialité. J’aurais voulu qu’elle ne dît pas à Mme Triger que Claire passait son examen demain pour ne pas lui faire une trop grosse honte si elle ne réussissait pas. Mais elle n’a pas eu cette discrétion. J’en serai fâchée s’il faut que cette pauvre enfant ne passe pas.
Granger n’est pas venu hier, mais je pense qu’il viendra aujourd’hui. Dans aucun cas, on ne me laissera ce qui reste à payer sans en devoir compte à personne. Il faudra pourtant que je réponde à ce Garnier et que j’écrive à M. Démousseaua. Voilà encore une ennuyeuse démarche à faire. Enfin il faudra la faire le plus tôt possible pour n’avoir pas la visite ou de nouvelle lettre de ce monsieur. Je ne sors pas des affaires ennuyeuses. Après celle-là, celle-ci, et toujours comme ça. Encore si je te voyais davantage, cela m’aiderait à supporter toutes ces tracasseries avec plus de calme et de résignation. Mais je te vois si peu, si peu, que cela ne vaut pas la peine de souffrir, si cela en vaut la peine. Je blasphème et je mensb quand je dis cela. Un an d’ennui ne vaut pas une seconde de bonheur. Voilà la vérité.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 283-284
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « Démousseaux ».
b) « je ments ».


11 juin [1845], mercredi soir, 5 h. ½

Allez donc avec votre table chinoise de quarante mille morceaux. Je m’en fiche pas mal encore. Vous avez essayé de m’humilier dans mes chandeliers, mais vous n’y avez pas réussi. Vous devez être bien furieux de voir que toutes vos chinoiseries ne me font aucun effet. Si j’en voulais, j’en aurais peut-être plus que vous, des chinoiseries, c’est moi qui vous le dis. Pour vous apprendre à me vexer, je ne vous ferai pas de dessin. Vous aurez beau vous traîner à mes pieds et lécher la sacrée poussière de mes brodequins, je ne vous en ferai pas. Vous êtes assez riche en curiosités de tous genres. Je n’ai pas besoin d’y joindre mes chefs-d’œuvrea plus curieux encore que toutes vos curiosités. Cela ne m’a pas empêchée de vous acheter une belle douzaine d’oranges. Je veux bien vous priver de mon talent, mais je ne veux pas faire souffrir votre pauvre petite santé. Depuis que tu es parti, j’ai été en grande affaire avec mon jardinier. Je lui ai fait faire de grands nettoyagesb et de grands coupages de bois mort. Ça n’est pas encore fini tout à fait. Ce sera pour la prochaine fois. Quant à Granger, l’ouvrier qui est venu en son nom n’a pas pu prendre sur lui de me donner un solde de tout compte parce qu’il n’y était pas autorisé et qu’il ne savait pas ce que je voulais lui dire. Ce sera pour la prochaine fois.
Voilà, mon petit Toto, les nouvelles d’aujourd’hui. Quant à mes occupations, je vous ai aimé sans m’arrêter et je n’ai pas encore fini. Je vous attends de toutes mes forces.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 285-286
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « mes chefs-d’œuvres ».
b) « de grands nétoyages ».

Notes

[1Lors de leur voyage dans les Pyrénées en 1843, Juliette Drouet et Victor Hugo découvrent le Mont Vignemale, près de Luz.

[2Le 12 juin 1845, Claire passe l’examen d’institutrice. C’est un nouvel échec.

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