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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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25 avril [1845], vendredi matin, 8 h. ½

Bonjour, mon Toto chéri, bonjour, mon ravissant bien-aimé, bonjour, le plus pair de France de tous les pères passés, présents et futurs, bonjour, je vous aime à corps perdu et esprit idem. Il y aura bientôt vingt-quatre heures que je ne vous ai pas vu. Si vous croyez que cela m’arrange, vous vous trompez joliment. Moi qui croyais que vous me reviendriez une fois nommé pair et que je pourrais vous voir au moins deux fois par jour, je me suis bien trompée, car jusqu’à présent, vous êtes plus invisible que jamais. Je sais tout ce que vous allez me dire : – Mme de Salvandy, M. Guizot, le Chancelier, le Grand Référendaire [1], le Maréchal, le roi, la duchesse [2], votre travail, etc., etc., mais alors qu’est-ce que je fais ici moi, et à quoi suis-je bonne ? J’ai bien besoin d’être méchante ce matin, mais j’ai encore plus besoin de ne pas t’ennuyer. Aussi, malgré mon penchant à grogner et à me plaindre, je vais être très aimable et crier de toutes mes forces : quel bonheur  ! Cela t’attraperaa et te forcera, sinon à m’admirer, du moins à m’aimer pour le courage et la résignation dont je fais preuve en ce moment-ci. Peut-être aussi que cela me portera bonheur et que tu viendras tout de suite. Oh ! si cela était ! Je suis capable de pousser un rugissement de joie, capable de faire crever de dépit tous les animaux rugissant du désert y compris le Jardin des Plantes. En attendant, je fais la meilleure contenance que je peux et je t’aime plus que jamais et plus que tout au monde et plus que ma vie. Je te baise en pensée depuis le petit bout de tes cheveux jusqu’à la racine de tes petits pieds.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 95-96
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « t’attrappera ».


25 avril [1845], vendredi après-midi, 2 h.

Mon Victor bien aimé, j’ai le cœur plein de tristesse et d’adoration. Je t’aime, je t’admire, je te respecte, je te vénère comme ce qu’il y a de plus beau, de plus doux, de plus grand au monde. Je suis triste parce que je ne te vois pas. Mais je n’ai pas d’amertume contre toi, le bon Dieu le sait. Toute ma vie se passe à t’aimer, à te regretter, à te bénir, à te désirer et à t’adorer. Si tu viens ce soir, je serai la plus heureuse femme du monde et réciproquement si tu ne viens pas, j’en serai la plus malheureuse.
J’allais m’habiller quand tu es venu. Maintenant je me demande à quoi bon puisque je ne te verrai dans tous les cas que ce soir ? Je n’ai pas le courage de m’attifer quand je sais d’avance que tu ne le verras pas. Si je m’écoutais, si je me laissais aller à mon penchant, je fermerais mes volets, je mettrais mon verrou et je resterais là, toute seule, ma pensée fixée sur toi sans distraction aucune. Je ne me soucierais pas de la folie qui serait la conséquence inévitable d’un pareil système de vie, si cette folie pouvait me rapprocher assez de toi par la contemplation pour combler l’abîme de l’absence. Au contraire, je m’y livrerais avec fureur et rien ne pourrait m’en empêcher. Mais je n’en suis pas assez sûre et voilà ce qui me fait hésiter. Mon Victor, pense à moi et aime-moi si tu veux que je vive.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 97-98
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Grand Référendaire : titre que porte un pair de France, chargé d’apposer le sceau et de garder les archives (Larousse).

[2La duchesse d’Orléans, Hélène de Mecklembourg.

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