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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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22 avril [1845], mardi matin, 10 h. ½

Bonjour, mon Toto bien aimé, bonjour, mon Victor. Je t’aime. Je t’aime, entends-tu ? C’est-à-dire, j’ai du courage, de la patience et de la résignation pour t’attendre. Je sais que tu es occupé, je sais que tu es fatigué, je sais que tu es mon Victor adoré et je t’attends avec amour.
J’espère que tu auras eu ton costume pour aujourd’hui et que tu auras fait ton entrée solennelle à la Chambre des pairs [1] ? Quand je dis tu auras, je veux dire tu feras, car ce ne serait que pour tantôt dans tous les cas. Je comprends l’impatience du roi et la tienne. Aussitôt pris, aussitôt pendu. À peine nommé, tu as des services à rendre à ton pays, des turpitudes à empêcher. Toutes choses qui te sont familières et que tu fais presque sans regarder. Ta vie et ta gloire sont faites de cela. Pauvre ange adoré, admiré et vénéré, je t’aime à genoux. Je viens de relire l’article du Journal d’Orléans [2]. C’est la meilleure réponse à faire aux stupides coasseries de La Gazette [3] et aux cris de fureur impuissante et bavante du National [4]. Il me semble voir des crapauds vivants se tordant sur un gril ardent. C’est dégoûtant, révoltant et amusant tout à la fois. Pouah !
Quel beau temps, mon Victor ! Tu ne le remarques pas parce que tu n’en as pas le temps. Le ciel s’est mis de la partie pour te fêter. Ton confrère Apolloa célèbre ta promotion là-haut à sa manière. Moi, je la célèbre à la mienne en t’adorant.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 85-86
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « Appollo ».


22 avril [1845], mardi après-midi, 3 h. ½

Si j’avais été prévenue, mon cher adoré, si j’avais pu seulement me douter qu’il y aurait une chance pour moi de sortir, j’aurais été prête, car rien ne m’était plus facile que de l’être plus tôt. Mais j’étais loin d’espérer un bonheur comme celui-là. Aussi j’en prenais à mon aise, à mon grand dam et grand regret à présent que je vois que j’ai manqué l’occasion de sortir avec toi et d’être à ton bras pendant le trajet d’ici à l’Institut [5]. Je ne suis pas chanceuse, mon Toto, tu le sais, et ceci en est une nouvelle preuve. Je crois même que pour mieux confirmer ma remarque, il va pleuvoir à torrent. Cela ne m’empêche pas d’aller chez Mlle Féau. Je ne veux pas manquer volontairement la chance de te voir une heure de plus dans ma vie. À propos, j’ai oublié de te demander jusqu’à quelle heure je devais t’attendre ? Si tu n’es pas venu à sept heures, je croirai que je peux revenir, car tu serais retenu pour toute la soirée probablement.
Je t’aime, mon Victor. Je t’aime, mon beau bien-aimé. Je t’adore, mon grand Victor. Je te le dis souvent et je ne te le dis pas encore autant que je le voudrais pour mon plaisir particulier, ni autant que je le sens. Je t’aime trop.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 87-88
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Victor Hugo prête serment à la Chambre des pairs le 28 avril 1845.

[2Juliette Drouet évoque Le Foyer du Loiret, Journal d’Orléans du 17 avril 1845. La rubrique « Politique » consacre un article à Victor Hugo, intitulé « M. Victor Hugo, pair de France ». (voir note 2 de la lettre du 18 avril 1845, p. 823).

[3À élucider.

[4Juliette fait-elle référence à l’article d’Armand Marrast du 17 avril 1845 dans Le National où il s’exprime ainsi : « Saluez M. le Vicomte Hugo, pair lyrique de France ! La démocratie, qu’il a insultée, peut désormais en rire : la voilà bien vengée ».

[5Les séances de l’Académie française ont lieu tous les mardis et jeudis.

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