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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey, 16 février 1860, jeudi matin, 8 h.

Ave, mon cher bien-aimé, mon amour est avec vous, vous êtes béni entre tous les hommes et le 27e anniversairea de mon cœur est béni. Saint Victor, fils de Dieu, aimez-moi maintenant et à l’heure de ma mort. Ainsi soit-il. Cher adoré bien-aimé, voilà la vingt septième fois que cette date lumineuse et rayonnante se lève sur ma vie, et, loin qu’elle s’éteigne, s’obscurcisse, mon âme en est éblouie plus que jamais et mon cœur s’y brûle comme la première fois. Je retrouve dans cette date et en moi toute ta jeunesse, toute ta beauté, toute ton irrésistible séduction, tout mon amour, toutes mes tendresses et toute mon adoration. Il n’est pas jusqu’à cette pauvre et infime restitus qui ne soit à son poste fidèlement depuis le premier gribouillis que j’ai osé t’écrire jusqu’à celui d’aujourd’hui mon Victor adoré, que Dieu te bénisse pour tous les jours heureux que contiennent pour moi ces vingt-sept années passées dans l’amour, dans le dévouement et la fidélité. Tantôt, si tu n’es pas trop absorbé et trop fatigué, je te donnerai mon cher livre rouge pour que tu y enregistres ce nouvel anniversaire radieux et sacré.
J’aurais désiré lui faire une petite fête AD HOC mais je ne veux pas priver ta famille du plaisir de dîner avec toi tant que ta femme sera absente c’est pourquoi je m’abstiens d’aucune manifestation extérieure devant la plus grande date de ma vie. Mais elle n’y perdra rien car tout ce que [je] ne peux pas lui donner en joie et en félicitations à ciel ouvert je le lui rends dans mon cœur en redoublement d’adoration.
J’espère que tu as passé une bonne nuit bien entière, mon cher petit homme, et que rien ne pèsera sur ta vie aujourd’hui. Je t’attends, je te désire, je t’aime comme le premier jour de notre premier rendez-vous.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16381, f. 22-23
Transcription d’Amandine Chambard assistée de Florence Naugrette
[Pouchain]

a) « 27 anniversaire ».


Guernesey, 16 février 1860, jeudi soir, 4 h. ½

Tu écrivais tout à l’heure à cette même place, mon doux bien-aimé, dans mon cher livre rouge [1], archives de notre amour, tout ce que sent mon cœur et tout ce que t’aurais dicté mon âme si elle t’avait parlé tout haut à ce moment-là, tant il est vrai que ma vie est tienne et que ma pensée rayonne dès que tu te tournesa vers moi. Comme toi j’ai foi en notre radieux avenir dans l’autre vie, comme toi je demande à Dieu de mourir le plus près possible de toi et dans les bras l’un de l’autre le jour qu’il lui plaira. Si je n’écoutais que mon égoïsme je demanderais que ce soit tout de suite mais je sens trop quelle sublime mission tu accomplis envers l’humanité dans ce monde pour faire ce vœu impie. J’attendrai avec courage, avec patience, avec recueillement, dans la prière et l’adoration, que Dieu nous appelleb à lui.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16381, f. 24
Transcription d’Amandine Chambard assistée de Florence Naugrette

a) « tourne ».
b) « appèle ».


Jeudi soir [16 février 1860], 7 h. ½

Je reprends ma restitus à l’endroit où je l’ai laissée quand tu es revenu ce soir, mon cher adoré, non pas pour y rien ajouter de nouveau mais pour continuer avec moi-même le doux dialogue de mon cœur et de mon amour. Je te remercie pour notre cher vingt septième anniversaire que tu as salué au passage avec des mots si lumineux et des tendresses si pénétrantes et si pieuses. Je te remercie pour moi dont tu es l’orgueil, la joie, la vénération et l’adoration, je te remercie pour mon neveu et pour sa famille de l’honneur immense que tu viens de leur faire à tous en écrivant à leur fils. Enfin, mon bien-aimé je baise tes pieds, tes mains, ta bouche, tes yeux, ton front et je ne m’arrête que dans la crainte de te fatiguer par ce débordement de caresses. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16381, f. 25
Transcription d’Amandine Chambard assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Hugo écrit dans le livre rouge, ce 16 février 1860 : « La vie avance, l’amour persiste. Il y a un éden derrière nous, et un paradis devant nous. Car pour ceux qui se sont aimés dans la vie et qui entrent dans la mort en s’aimant, la tombe est étoilée ; c’est la porte du ciel. Que Dieu me donne la vie avec toi, voilà ce que je lui demande dans ma prière de tous les soirs. L’amour vieilli est de l’amour religieux ; il y a de la prière dans son baiser. Cher doux ange, vieillissons donc avec joie, car le grand rajeunissement est proche. Il s’appelle l’éternité. L’amour dans l’éternité, quelle aurore ! – Aimons-nous et prions. » (Victor Hugo, Lettres à Juliette Drouet, édition de Jean Gaudon, p. 347).

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