2 avril 1859

Guernesey, 2 avril 1859, samedi matin, 8 h.

Écrit après une assez noire perfidie intime de M. K.^a
Bonjour, mon bien-aimé ; bonjour, mon pauvre tiraillé ; bonjour, je t’aime plus que de toute mon âme. Comment vas-tu ce matin, mon cher bien-aimé ? Ta nuit a-t-elle été bonne ? Je crains que toutes ces agitations concentrées ne t’aient empêché de dormir et que tu ne sois de nouveau repris par ton vilain mal de tête. Cela me tourmente et m’attriste presque comme une certitude. Aussi, j’en veux doublement à ce grotesque Kesler de la monstrueuse perfidie envers toi, envers ta famille et envers moi : elle est d’autant plus agaçante, cette perfidie, qu’il nous faut la subir et la taire par je ne sais quels scrupules exagérés de pitié, de générosité et de dédain. Vous avez sans doute raison tous pour ce qui vous regarde, mais pour moi je suis très résolue à ne pas souffrir ni directement ni par insinuation ces noires balourdises et ces méchancetés à plusieurs lames empoisonnées. Et à la première trahison qu’il hasardera de me lancer, je lui cinglerai un si bon coup de mon mépris qu’il n’y reviendra pas, dût-il ne plus repasser le seuil de ma porte. En somme, sa grosse bedaine n’est pas assez amusante pour faire passer par dessus sa sottise et sa méchanceté combinées. Quant à moi, il y a déjà bien longtemps que je m’en serais privée sans regret, comme tu sais, mais il est toujours temps de se^a délivrer d’une mauvaise bête. Pardon, mon cher bien-aimé, de me laisser aller à toute ma colère contre ce gros mauvais homme quand j’ai tant de choses si tendres et si douces dans le cœur pour toi. Je t’aime, je t’aime, je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16380, f. 86
Transcription de Mélanie Leclère assistée de Florence Naugrette

a) Écrit d’une autre main.
b) « ce ».