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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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19 avril [1844], vendredi matin, 9 h. ³∕₄

Bonjour mon Toto bien aimé, bonjour, mon adoré petit homme, bonjour, bonjour le plus aimé des hommes, bonjour, bonjour, je t’aime.
La pauvre Mme Pierceau est morte cette nuit à 2 h. du matin. Toutes ses souffrances sont finies dans cette vie. C’est une bien bonne et bien charmante femme de moins sur la terre. Je plains son pauvre enfant, celui qui peut sentir la perte irréparable qu’il vient de faire. Je plains aussi ce pauvre M.  [1]. Que fera-t-il maintenant ? Hélas ! C’est déjà la consolation admise qu’une pareille question. On n’aurait pas pu la faire de la pauvre femme qui vient de mourir si au lieu d’elle, c’eût été lui. On ne pourrait pas la faire non plus de moi si jamais le bon Dieu me soumettait à cette horrible épreuve.
C’est qu’elle aimait cet homme comme je t’aime, de toute son âme, et que pour elle comme pour moi, la vie c’était son amour.
Dans la lettre qu’on a apportée ce matin, on ne parle pas de l’heure du service. Je ne sais si c’est oubli ou si on écrira de nouveau d’ici à demain. Peut-être enverrai-je Suzanne dans la journée savoir à quelle heure se fera l’enterrement. Je tiens à m’acquitter d’un double devoir envers cette pauvre créature car c’est elle qui, malgré ses souffrances déjà aiguës, m’a remplacée auprès de mon père mort [2], le jour où on l’a enterré. Quant à toi, mon cher adoré, quel que soit le prix qu’elle attachait de son vivant à la promesse que tu lui avais faite dans un temps où tu ne pensais pas avoir à la tenir de si tôt, si tu ne peux pas le faire sans compromettre ta santé, je te supplie de ne pas le faire. Elle-même, la pauvre femme, ne le voudrait pas si elle vivait encore. Tu es juge de cela, mon adoré. Ne fais rien au-dessus de tes forces. Je t’en supplie.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16355, f. 59-60
Transcription de Mylène Attisme assistée de Florence Naugrette


19 avril [1844], vendredi après-midi, 4 h. ½

Il est juste que je porte le deuil de cœur de cette pauvre femme qui fut notre amie ; aussi, je lui offre comme la plus grande marque de l’affection que j’avais pour elle vivante, le sacrifice que je lui fais aujourd’hui à l’occasion de sa mort. Tu ne viendras pas ce soir, mon adoré, et demain, je ne te verrai qu’à cette triste cérémonie. C’est toujours un si grand bonheur pour moi que de te voir qu’il n’y a pas de plus grand sacrifice ni de plus grande privation que je puisse faire que ceux de ne pas te voir. Aussi, je vais être bien seule et bien triste ce soir, mon pauvre bien-aimé ; pense à moi et aime-moi. Moi, je vais prier le bon Dieu pour cette pauvre morte puis penser à toi, et puis te désirer, et puis t’adorer.
J’ai encore une lettre de Mme Luthereau, probablement à l’occasion de cette douloureuse catastrophe. Quand tu viendras, nous la lirons ensemble.
J’ai envoyé Suzanne savoir l’heure de l’enterrement. Elle n’est pas encore revenue. J’espère qu’on se seraa arrangé pour qu’il ait lieu dans la matinée de 9 à 10 h. ainsi que j’en avais fait prier la cousine. Je voudrais que ces tristes devoirs fussent rendus pour être sûre qu’ils ne t’ont pas fait de mal.
Je t’en supplie, mon adoré, ne fais rien au-dessus de tes forces. Pense à tous ceux qui t’aiment et à moi dont tu es la vie. Je baise tes pieds adorés. Je te bénis. Je t’aime de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16355, f. 61-62
Transcription de Mylène Attisme assistée de Florence Naugrette

a) « on ce sera ».

Notes

[1Desmousseaux, acteur de la Comédie-Française, compagnon de Mme Pierceau

[2L’oncle de Juliette René-Henry Drouët, qu’elle appelait son « père » parce qu’il l’avait élevée, est mort en 1842, aux Invalides où il était hébergé en tant qu’ancien militaire.

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