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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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16 novembre [1843], jeudi matin, 10 h. ½

Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour mon adoré petit homme. Je baise tes chères petites pattes blanches pour les réchauffer. Je te prie de mettre tes bonnes bottes aujourd’hui parce que le temps est affreusement mauvais. Il y aura sans doute Académie, tantôt, tu serais bien gentil de venir en y allant, cela me donnera le courage de t’attendre jusqu’après la séance. Je crains que ce hideux temps ne t’ait redonné ta douleur plus forte. Ne t’inquiète pas autrement mon cher adoré. Couvre-toi bien, évite toute humidité et puis, s’il le faut, je te frictionnerai ce soir devant le feu. Pauvre cher bien-aimé, je ne veux pas que tu souffres, jamais, jamais. Tu ne dois pas souffrir toi, c’est impossible.
Je t’écris avec Cocotte sur mon doigt, ce qui n’est rien moins que commode. Elle grogne par-dessus le marché dès que je la remue. Je n’ai jamais vu une petite bête plus tyrannique que celle-ci, il faut toujours qu’on s’occupe d’elle. Je voudrais bien un peu qu’elle ait affaire à vous, elle verrait la différence des deux manières et peut-être qu’elle apprécierait ma mansuétude et ma patience à son égard.
À propos de Cocotte, l’heure de Jacquot est passée, et comme il ne doit pas venir un vendredi, il s’ensuit que s’il n’est pas venu samedi matin, la surprise sera manquée. Il est vrai que celle de la cheminée restera dans toute sa nudité et que ça peut y aller pour cette fois pour une assez belle surprise. Tu me taquines toujours et tu me dis des choses qui peuvent me faire de la peine. Voime, voime, pôlisson, je vous conseille de vous moquer de votre pauvre Juju et de lui manquer de respect, c’est gentil, vous devriez en être honteux. Soyez tranquille, quand je trouverai l’occasion de vous rendre la pareille et de vous humilier, je n’y manquerai pas. En attendant, vous ferez bien de ne pas me taquiner et de ne pas me dire des choses qui me font de la peine ou je vous ficherai des coups. C’est ce que je ferai dorénavant chaque fois que vous me manquerez de respect. Ce sera un peu souvent, tant mieux vous n’en serez que plus battu.
Baisez-moi, vilain monstre, et aimez-moi si vous tenez à votre vie et à bien autre chose encore. Je vous dirais, mon cher petit bien-aimé, si vous ne le savez pas, que je vous aime de toute mon âme et que vous êtes mon Toto ravissant et adoré. Voilà ce que vous êtes. J’aurais pu vous dire cela en deux lignes au lieu de vous le délayer en quatre [illis.] pages mais je n’aurais pas eu le plaisir de gribouiller un tas de mots qui n’ont ni queue ni tête. D’ailleurs, je vous devais ce monstrueux appoint depuis hier et il fallait bien vous le donner. Ne vous plaignez pas puisque c’est vous qui le voulez. Tâchez de venir un peu dans la journée. Pensez à moi, mon Toto adoré, je le sentirai et cela me donnera du courage pour vous attendre. D’ici là, je ne vais que penser à vous et que vous désirer de toutes mes forces. Je voudrais baiser votre chère petite bouche et ébouriffer un peu vos beaux rouleaux.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16353, f. 55-56
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette


16 novembre (1843], jeudi soir, 5 h.

Je te remercie, mon cher adoré, d’être venu un peu tantôt. Cela m’a fait du bien. On aurait dit que tu avais entendu ma prière. Merci du fond du cœur, mon Toto bien-aimé.
Tu as peut-être raison mon cher petit Toto d’agir avec cette prudence envers M. P……. Ce serait bien infâme et bien lâche de sa part. Mais tout est possible à de certains hommes. J’ai confiance dans tout ce que tu me dis et quoiqu’il me soit très amer et très triste de me défier jusque-là du père de mon enfant, je comprends qu’il vaut mieux ne pas exposer ce caractère faible et peu loyal à quelque action honteuse et décisive envers sa fille. Je suis triste, mon Toto, et pourtant qu’est-ce que je deviendrais si je ne t’avais pas pour me conseiller, me soutenir et m’aimer ? Sois béni, mon cher adoré, dans tous ceux que tu aimes. Tu es mon ange gardien.
Dabat est venu tout à l’heure, je lui ai fait dire que j’enverrai chez lui un de ces jours. Te voilà approvisionné pour un petit bout de temps. Moi je n’ai plus d’huile à brûler à partir d’aujourd’hui, j’en ai fait prendre chez l’épicier. Je n’ai plus aucun scrupule maintenant que je sais que ma lampe ne peut plus aller ni d’une façon ni de l’autre. La mère Lanvin a fait dire par sa fille qu’elle viendrait demain, probablement pour apporter les choses que nous l’avions chargée d’acheter ou de faire nettoyer. Il est dit que, quelles quea soient mes précautions, je n’échapperai pas à un seul VENDREDI ! On n’a pas plus de guignon.
Sur ce baisez-moi. Je consens à tout ce que vous voudrez, même le vendredi, pourvu que vous m’aimiez.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16353, f. 57-58
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « quelques ».

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