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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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10 novembre, vendredi matin neuf heures un quart

Bonjour mon cher petit bien-aimé, bonjour mon ravissant, mon adoré petit homme, bonjour, bonjour. Vas-tu bien ce matin mon cher petit ? Tu n’as pas eu froid cette nuit ? C’esta un soin qu’il faudrait que tu aies et ne pas oublier de donner l’ordre à tes domestiques de te faire du feu dans ta chambre le soir avant qu’elles aillent se coucher. Je regrette à tous les moments de ma vie de ne pouvoir pas être ta domestique. Avec quel orgueil et quelle joie je te servirais, comme j’airais soin de toi et comme je ficherais à la porte toutes les cocottes qui viendraient rôder autour de vous. Malheureusement cela ne se peut pas. Aussi, vous avez froid à vos pauvres pieds et vous vous faites rouler les cheveux. Joli régime en vérité. Taisez-vous, monstre, vous savez bien que ce que je vous dis est vrai. Taisez-vous et faites-vous faire du feu, ça vaudra bien mieux ou bien, venez vous réchauffer chez moi, ça sera meilleur encore.
Je suis fâchée que tu n’aies pas songé à dire un mot pour Pradier hier [1]. Le refus, tout sec et tout net, quoiqu’il soit malheureusement trop motivé, d’ailleurs, a pu lui paraître dur et pour un amour-propre malade, comme le sien, presque méprisant. Il est vrai que tu tâcheras de lui ôter toute amertume de ce côté mais la chose aurait été plus facile si hier tu avais pensé à en dire deux mots à l’Académie. Du reste, il faudrait qu’il fût bien absurde pour ne pas comprendre l’impossibilité de te faire figurer à cette inauguration dans une circonstance aussi douloureuse pour toi. Tâche de le voir aujourd’hui si tu peux.
Tâche aussi de venir me voir, moi qui t’aime de toute mon âme. N’oublie pas que je t’attends, que je te désire et que je n’ai de joie qu’en toi. Pauvre ange adoré, c’est bien bien vrai ce que je te dis là. Il va falloir que tu voies à me faire faire ton cher petit portrait. J’aurais voulu que tu t’en occupassesb plus tôt, je crains que la saison ne soit déjà avancée. Cependant je le veux, il me le faut pour mes étrennes. Arrangez-vous pour cela et priez le bon Dieu qu’il ne gèle pas. Je vous baise tant que vous pourrez [rester ?].

Juliette

BnF, Mss, NAF 16353, f. 33-34
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « cette ».
b) « occupasse ».


10 novembre [1843], vendredi soir, 4 h. ¾

C’est toujours la même chose, donc mon amour, rien ne peut vous faire venir une minute plus tôt qu’à votre affreux ordinaire. Vous êtes bien gentil. Voime, voime, mais il faut le dire vite. Je sais bien que vous avez des affaires ; mais, je voudrais bien que vous me considérassiez de temps en temps comme une affaire et que vous me traitassiez de même. Je commence à trouver que le système que vous suivez envers moi est parfaitement embêtant. Si vous n’y prenez pas garde je choisirai quelque [Bachan ?] ou quelque [Bagader ?] plus aimable et plus empressé que vous. Vous voyez que je vous avertis.
J’espérais que tu profiterais du beau temps pour me faire marcher un peu. Je m’étais dépêchée de faire mes quinze tours dans le cas où tu viendrais de bonne heure. J’en ai été pour mes frais [illis.]. Je ne vous en veux pas mais je vous trouve monotone au dernier point. Il faudra que vous me prouviez clair comme Dominus que vous m’aimez de toute votre âme tout à l’heure pour que je ne sois pas affreusement grognon. Je sens que ça me monte.
Pauvre ange adoré, n’aie pas peur de moi, car je suis, au contraire, très bonne et très résignée ce soir. Je pense que tu as des affaires sans nombre et que par-dessus tout ça tu travailles pour toi et pour moi. Je te plains mon adoré, je te désire, je te bénis et je t’aime avec plus de ferveur encore. Donne-moi tes chères petites mains que je les réchauffe avec mes baisers.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16353, f. 35-36
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Nous reprenons cette note à Douglas Siler, éditeur de la Correspondance de Pradier, t. III, ouvrage cité, p. 40 : « Pradier souhaitait que Victor Hugo, nommé le 5 novembre directeur de l’Académie Française, prononçât un discours à l’inauguration de la fontaine Molière. Mais Hugo menait le deuil de sa fille Léopoldine et de son beau-fils […]. Il n’assistera pas à l’inauguration le 15 janvier 1844.

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