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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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26 décembre [1843], mardi matin, 11 h.

Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour mon cher adoré, bonjour mon pauvre petit homme accablé et triste. Tu étais triste hier, mon bien-aimé, et je n’ai pas osé te demander pourquoi d’ailleurs. Mon pauvre ange je ne le devine que trop. Je respecte ta tristesse, je la comprends et je la partage.
J’ai été préoccupée toute la nuit de ce que tu m’as dit de la sollicitude de ta chambrière. Je crains que ce ne soit là le véritable motif qui t’empêche de venir ? Et puis je ne comprends pas comment cette fille connaît les heures auxquelles tu rentres ? Je pensais qu’elle couchait loin de l’appartement ? Est-ce que cette disposition intérieure est changée ? Il faudra que tu me dises tout cela tantôt. En attendant, cela m’a tourmentée toute la nuit. Quand te verrai-je mon Toto ? J’ai la tête et le cœur fatigués à force de penser à toi et de te désirer inutilement. Vraiment je t’assure que j’éprouve une espèce de lassitude à ce métier abrutissant. Tu dois t’en apercevoir à la platitude et à la maussaderie de mes lettres qui, sans avoir jamais été des chef-d’œuvre d’esprit et de grâce, étaient loin de l’insignifiance de celles-ci. Ce n’est pas faute d’amour au contraire. L’excès en tout est un défaut n’a jamais été plus juste que dans cette occasion. L’excès de mon amour me rend injuste, amère, triste et stupide. Ce n’est pas ma faute car je ne vois pas que je sois corrigible.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16353, f. 211-212
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette


26 décembre [1843], mardi soir, 5 h. ½

Est-ce que tu ne viendras pas avant le dîner ? Tu as été bien bon, bien doux et bien charmant tantôt mon adoré, mais cela ne m’en a fait que trouver le temps plus long loin de toi : ajoute qu’à force de penser à toi j’ai oublié de te regarder en aller. Cela m’a fait un gros chagrin dès que je m’en suis aperçuea. Je ne te vois pas assez souvent pour ne pas regretter amèrement une seconde perdue par ma faute pendant laquelle j’aurais pu te voir. Je ne me pardonnerai pas cette distraction de longtemps.
Pauvre ange adoré, que tu es bon et que je t’aime mon Dieu. Je serais presque tentée de garder ma pièce de cent sous en souvenir de la manière ravissante avec laquelle tu me l’as donnée. Si j’avais une autre pièce dont je ne devrais compte à personne à mettre à la place je n’y manquerais pas. Mais, hélas ! ma paillasse sonne le ranz [1] depuis longtemps. C’est ce qui me [illis.] à dépenser la pauvre pièce de cent sous.
La mère Lanvin n’est pas encore venue. Tout le monde courta après moi comme les toutous après les coups de trique. Jamais je n’ai vu plus touchante unanimité à fuir ma maison sans compter les gens que je vais voir et qui me mettent à la porte de chez eux. Voime, voime, Mamzelle Chichi est pien aimaple qu’on me la viche à la borte [2]. Taisez-vous, vous savez bien que vous faites la même chose avec moi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16353, f. 213-214
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « aperçu ».
b) « courre ».

Notes

[1Le « Ranz des vaches » est un air national suisse. Dans les années 1830, il était populaire, au point que Rossini, Berlioz et Meyerbeer ont utilisé cette forme. Juliette veut dire que son lit grince.

[2Imitation de l’accent allemand : « Mademoiselle Juju est bien aimable, qu’on me la fiche à la porte. »

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