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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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20 décembre [1842], mardi matin, 11 h. ½

Bonjour, mon cher bien aimé petit homme, bonjour mon ravissant petit bien-aimé, comment vas-tu ? Vous voyez bien que vous n’êtes pas venu. Vous voyez bien que vous êtes un monstre… Déjà depuis deux jours, vos forfanteries [1] onta bien diminuéb et dans deux autres jours, il n’en sera plus du tout question, quitte à les recommencer à la nouvelle lune prochaine. Vous voyez que je vous sais par cœur et que j’ai raison de ne pas être éblouie de vos airs vainqueurs avec moi. Taisez-vous pour votre honneur. Tout cela n’empêche pas que vous ne soyez très beau, trop beau même pour mon repos et pour mon bonheur. À propos de bonheur, à quand la, CULOTTE ? Je ne vous en tiendrai pas quitte à si bon marché, je vous en préviens et je ne l’attendrai pas deux ans comme je l’ai déjà fait. Dieu merci, vous n’avez plus le tourment de votre cher petit garçon [2] et ça m’est égal de manger du matou en civet pourvu que je le mange avec vous en PARTIE FINE. Ainsi, mon Toto, je ne vous ferai pas grâce de la susdite culotte ni crédit très longtempsc parce que je suis pressée et affamée. Pauvre bien-aimé, hier au soir j’étais tellement en proie à ma jalousie que je ne me suis pas arrêtée à cette espèce d’escobarderie de tes banquiers, mais ce serait infâme s’ils ne te donnaient pas ton dividende. Il ne me semble pas possible qu’ils fassent une pareille vilenied, quoique les hommes à argent soient capables de toutes les turpitudes qui peuvent leur rapporter de l’argent. Mais enfin, mon cher amour, il faudra défendre tes droits et ne pas te les laisser escomptere sous un prétexte de date dont [on] avait eu l’attention délicate de ne pas t’avertir. Ne te laisse pas aller à ta générosité habituelle et fais leur rendre gorge, à ces hideux bonshommes, si tu le peux toutefois, car rien n’est plus difficile que de rattraper un écu des griffes de ces sortes d’animaux. Pense à moi, mon cher amour, et viens me voir avant d’aller à ta répétition [3], mais surtout viens tout de suite en sortant. Je t’aime, j’ai besoin de te voir. Je t’adore. Je voudrais toujours te voir, que je suis loin d’être satisfaite, mon cher amour. Tâche de venir le plus tôtf que tu pourras.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 303-304
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

a) « on ».
b) « diminuées ».
c) « long-temps ».
d) « vilainie ».
e) « escomter ».
f) « plutôt ».


20 décembre [1842], mardi soir, 5 h. ½

Je suis sans les armes, mon Toto, entourée de verres, de carafea, de sucre, de fiole, de gargarisme et d’eau chaude. Sans parler de mon amour que je ne confonds pas dans cette énumération de drogues de toutes sortes. Il fait un temps affreusement humide ; je voudrais bien te savoir à l’abri près de moi au coin de mon feu, séchant tes chers petits pieds et te laissant essuyerb ta ravissante petite caboche avec mes baisers. Dépêche-toi donc de venir, cela me tranquillisera et me donnera de la joie dont je suis très à court depuis longtempsc.

6 h. ¾

Déjà reparti, mon adoré ? À peine si j’ai eu le temps de remplir mes yeux et mon âme de ta délicieuse présence. Il est vrai que tu resterais avec moi sans bouger pendant l’éternité que je n’en aurais pas encore assez. Pauvre ange adoré, tu as tout, toi. Le bon Dieu t’a tout donné : la belle figure et la belle âme, le talent universel et le génie sublime. Tu es son œuvre la plus complète. Je t’admire et je t’aime. Je voudrais baiser tes pieds, je voudrais mourir pour toi.
Tâche que ce petit dessin de tout à l’heure ne soit pas perdu pour moi, mon adoré. Et prends bien garde de rien perdre de mon cher petit album vert. La perte d’un enfant que j’aurai de toi ne saurait m’être plus sensible je crois. Je te le recommande, mon amour. Comme je te recommande de penser à moi et de m’aimer. Ne viens pas tard ce soir, si tu peux, mon cher petit homme. Quel bonheur si tu pouvais me donner la culotte en question. Cela serait si doux et si charmant que je n’ose pas l’espérer. Belle Philis, on désespère alors qu’on espère toujours [4]. Et voilà deux ans que j’espère ou que je désespère. Comme tu voudras.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 305-306
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

a) « caraffe ».
b) « essuier ».
c) « long temps ».

Notes

[1Parole de fanfaron, vantarde (Source : TLF).

[2Le fils de Victor Hugo, François-Victor Hugo, a souffert d’une grave maladie durant plusieurs mois.

[3Victor Hugo a présenté Les Burgraves au Théâtre-Français le 23 novembre et en fait à présent les répétitions.

[4Citation des derniers vers du sonnet d’Oronte dans Le Misanthrope de Molière.

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