Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1842 > Novembre > 2

2 novembre [1842], mercredi soir, 5 h. ½

Je n’avais pas pu jusqu’à présent, mon adoré, t’écrire puisque je n’avais pas de papier. Mais tu as vu que je n’ai pas perdu mon temps puisque j’ai rangé mes armoires et mes tiroirs de fond en comble et que j’y ai trouvé ton caleçona et ta chemise modèle. Eh ! bien, mon cher amour, si tu pouvais voir l’intérieur de mon cœur, comme tu vois mes actions, tu y verrais que je suis sans cesse occupée de toi et que je n’ai pas d’autre but que toi, d’autre désir que toi. Si tu savais combien je t’aime, mon Toto chéri, tu serais le plus heureux des hommes. Je regrette de n’avoir pas eu fini assez à temps pour te retenir car je crains que tu ne sois parti tout de suite à cause de mes hideux triquemaques. J’espérais avoir fini plus tôtb, comme il arrive toujours dans ces sortes de choses. Enfin, m’en voilà débarrassée pour tout l’hiver. J’ai visité aussi mes reconnaissances et bien m’en a pris car j’en ai deux à renouvelerc pour demain 3 novembre. Je les donnerai ce soir à Lanvin, car c’est lui qui doit ramener ma fille de chez M. Pradier, sa femme étant trop souffrante. Et si tu peux me donner l’argent ce soir, je l’enverrai au marché par Suzanne ou Lanvin le prendra en venant conduire Claire demain, ce qui est plus simple. Voici la couturière qui m’apporte ma robe de chambre et ma robe de damas, mais pas de CAMAIL, c’est-à-dire pas de CLOCHE. On me la promet pour demain, mais vu l’exactitude très peu exacte de la mère Ledon, je n’y compte pas. Au reste, cela m’est égal car je ne pense pas que tu me fasses sortir aussi près de demain à hier. Il me semble que ce que j’écris n’est guère plus compréhensible que le langage de la belle fille de l’Ukraine [1]. Mais toi qui es le plus polyglotte des hommes, tu dois me comprendre à travers mes hideux charivarisd de mots. Voici ma fille et Lanvin. Pradier a été toujours à l’ordinaire très bon avec sa fille et faisait de belles promesses qu’il ne tiendra pas, j’en ai peur. Enfin, il vaut encore mieux qu’il ait cette attitude affectueuse, que d’avoir toute honte bue et jeté tout honneur aux orties. Demain ma pauvre péronnelle rentre dans son capharnaüm jusqu’au jour de l’an [2]. Si tu peux m’y conduire de temps en temps, cela me fera du bien et du plaisir. En attendant, mon adoré, je t’aime, je t’adore, je voudrais passer ma vie à te le dire comme je la passe à t’aimer et à te désirer. Tâche de venir de bonne heure ce soir, mon cher amour, tu me combleras de joie. Jour Toto. Jour mon cher petit o. Je vous aime, entendez-vous.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 187-188
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

a) « calçon ».
b) « plus tôt ».
c) « renouveller ».
d) « charivari ».

Notes

[1À élucider.

[2Claire est en pension dans un établissement de Saint-Mandé.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne