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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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23 mars 1837

23 mars [1837], jeudi matin, midi ½

Bonjour mon cher bien-aimé, comment as-tu passé la nuit ? Il a fait un froid de chat. J’ai bien regretté de ne vous avoir auprès de moi mon cher petit calorifère, car j’ai eu bien froid, bien froid.
Vous pensez bien, mon cher petit homme, que je ris moitié sérieusement en vous disant cela, car j’ai toujours bien chaud avec vous et toujours bien froid sans vous, même dans la canicule. Ce qu’il me faut, c’est vous. Votre haleine me sert de température, votre souffle d’atmosphère et vos yeux de soleil. Hors de vous je vis dans la lune, c’est-à-dire sans air, sans vie et sans chaleur.
Jour mon petit chéri, jour mon petit homme adoré. Quand que vous me donnerez mes vers à moi ? J’en ai bien du besoin tout de suite. Je suis très pressée, il y a si longtemps que je n’ai baisé quelque chose de tout fraîchement sorti de vous que je suis très impatiente. Ne me faites donc pas trop languir, mon cher bien aimé. Je vous en prie bien et aimez-moi un peu pour tout l’amour que j’ai pour vous de tout mon cœur et de toute mon âme.
À bientôt n’est-ce pas ? À toujours n’est-ce pas ? Et mille baisers sur vos lèvres roses.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16329, f. 301-302
Transcription d’Érika Gomez assistée de Florence Naugrette


mars [1837], jeudi après midi, 2 h. ½

Je ne sais plus où j’en suis, il gèle à pierre fendre dans ma chambre. Je vous conseille de prendre garde à votre cœur mille fois plus dur que la pierre, il court grand risque de ce temps ci.
Oh Dieu [illis.]. Un peu de calorique me ferait grand bien, oh là là ! Tandis que vous vous chauffez dans votre magnifique salon, moi, je me morfonds dans ma bouteille ouverte à tous les vents, car on fait le ménage. Si vous n’étiez pas le plus froid des hommes, vous seriez déjà venu me réchauffer. Mais, bah, tout ce que je vous dis, c’est comme si je chantais : je gèle, je gèle, je gèle, je donne au diable, au diable la saison – au diable la saison [1].
Je serais cependant femme à sortir aujourd’hui si vous le vouliez et d’abord j’ai absolument besoin d’une paire de bas au moins, au risque de vous faire pousser des hourrasa d’indignation et de stupéfaction, parce que vous êtes le plus avare des hommes y compris Louis-Philippe.
Jour mon petit Oto. Je dis bien des bêtises, mais le moyen de dire autre chose d’un temps comme celui-ci ? C’est tout au plus si on a la force de les penser.
Je vous aime, comme un volcan couvert de neige, brûlant au-dedans, glacé au-dehors. Hein ! c’est joli, ça ; poétique et neuf par-dessous tout. Et encore plus vrai ce qui en fait le charme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16329, f. 303-304
Transcription d’Érika Gomez assistée de Florence Naugrette

a) « houras ».

Notes

[1On retrouvera cette chanson dans la pièce de Victor Hugo Mille francs de récompense (écrite en 1866), Acte I, scène 4.

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