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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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3 mars 1837

3 mars [1837], vendredi soir, 7 h. ½

Qui paie ses dettes s’enrichit. Et comme je n’ai que ce seul moyen de faire fortune, je m’empresse, mon cher petit Drognon, de vous payer la mienne. Je ne voulais pas, me sentant très souffrante et très mal dans mes affaires, tout à l’heure, commencer à vous écrire, afin de n’avoir pas cette préoccupationa gênante avec celle de donner de l’amour. Vous n’avez pas compris cela et vous avez eu tort et je vous pardonne de tout mon cœur. Car enfin il faut bien que vous jetiezb quelques gouttes d’encre bien noires sur notre ciel trop lumineux, vous êtes un trop fameux coloriste pour qu’on ne vous passe pas cette fantaisie. Tenez, cette page où je vous écris, est elle-même peinte et décorée par vous, dans le goût vaporeux qui préside à toutes vos compositions de peinture. C’est égal, je suis fièrement contente et heureuse de la nuit et de la presque journée que vous m’avez donnée. Il faut convenir par exemple qu’il était temps. Jour. Quand vous viendrez tout à l’heure, j’espère que vous drognerez plus et puis si vous êtes encore bête et mouzon, moi je continuerai à être bonne et charmante pour vous faire bien honte. Hum.
J’ai lu… je lirai encore… je lirai toujours. C’est mon bonheur, c’est ma vie, c’est ma joie, c’est ma manie à moi.
Je peux bien en avoir une aussi, moi, et celle là me rapporte trop du plaisir pour que j’y renonce jamais. Ainsi, prenez-en votre parti, comme d’être toujours aimé, toujours caressé, toujours désiré et toujours adoré par moi, votre vieille Juju.

BnF, Mss, NAF 16329, f. 227-228
Transcription d’Érika Gomez assistée de Florence Naugrette

a) « préocupation ».
b) « jettiez ».


3 mars [1837], vendredi soir, 7 h. ¾

Je veux vous faire une petite surprisea pas plus grande que ça. Mais comme c’est aujourd’hui vendredi et que je tiens à ne pas provoquer les giffes du malheur, je remets à demain de vous faire MA CHOSE.
Ayez la bonté de ne pas vous étonner et de répondre ceci à tout ce qui arrivera : « ah ! oui… je sais… une bêtise… bon marché … 4 sous … je n’en voulais pas d’abord… mais on m’a forcé… les marchands…vous savez sont … si engluantsb… et puis voilà… pas autre chose… une autre fois je vous dirai le reste ». Et si vous faites bien ce que je vous dis, je vous baiserai mille fois les pieds et je vous serai très reconnaissante et vous m’aurez rendu un grand service, mon cher petit O. Jour, onjour. C’est vraiment i 2 [1] de voir comme vous m’arrangez ce qui me sert de papier ; quand la postérité s’emparera de ma correspondance, j’aurai à subir non seulement les brioches de mon orthographe, mais encore la responsabilité de vos monstrueux pâtés. En vérité, je doute que tous les chimistes du monde parviennent à laver proprement tout ce papier noir d’amour et taché de votre industrie nouvelle. Au reste, si le papier est noir je m’en lave les mains et je vous en laisse tout l’honneur, car c’est vous qui êtes cause que je barbouille et gribouille du matin au soir des rames de papier qui n’ont même pas le sort d’être lues par vous osez le NIER ! Tenez je m’aperçoisc que je suis plus bête que je ne l’avais cru jusqu’à présent et que je vous aime trop.
dJe crois devoir vous prévenir pour dissiper toutes vos craintes que je n’ai pas dépensé un sou, que je n’ai rien achetée enfin et que c’est une bêtise qui ne vaut la peine d’être acceptée que parce qu’elle vient de moi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16329, f. 229-230
Transcription d’Érika Gomez assistée de Florence Naugrette

a) À cet endroit, une croix sur le manuscrit.
b) « engluant ».
c) « m’apperçois ».
d) Avant cette phrase, qui est écrite sur la pliure, une croix sur le manuscrit.
e) « acheter ».


3 mars [1837], vendredi soir, 8 h.

Oh ! Je ne lésine pas, moi, avec mes dettes. Ragez, bisquez, soyez excessivementa vexé, je ne vous en écrirai pas une ligne, pas un mot de moins. Vous n’en lirez pas un mot, ça m’est égal, vous aurez toujours l’HUMILIATION de voir comment je remplis mes devoirs d’amour. Moi, qui suis une pauvre fille très bête, très souffrante, et très paresseuse de ma nature, j’ai dompté mon naturel, ou plutôt l’amour que j’ai pour vous m’a donné une activité, une prolixité, si j’ose m’exprimer ainsi, qui me fait frémir moi même.
Je suis capable d’écrire : je vous aime, je vous aime, je vous aime, [90 ?] jours de suite sans me tromper une seule fois. Trouvez-en une autre de cette force là et puis venez me le dire et vous verrez quelle immense CALOTTE je vous donnerai en récompense.
Vous avez été bien maussade et bien injuste tantôt avec moi, et sans motif Ah ! si, vous en aviez un, j’oubliais. Vous aviez celui d’être trop aimé et trop adoré par une vieille maîtresse à vous qu’on appelle Juju et je comprends maintenant votre légitime DROGNERIE. Alors je vous pardonne puisque vous aviez une raison si péremptoire. Tâchez d’être bien gentil quand vous viendrez me voir, moi, car ce n’est pas ma faute enfin, si l’autre, la vieille est embêtante comme tout. Moi, je suis très jeune, très jolie et très aimable et je vous aime autant que la caduque. Il faut donc me donner la préférence et m’aimer comme vous l’aimiez autrefois elle, la vieille JUJU.
Jour mon petit homme chéri. Vous voyez bien que tout ça c’est pour rire et que c’est LA MI-CARÊME qui fait ses dernières folies. La seule chose sérieuse et bonne dans tout ceci, c’est que je t’aime de toute mon âme et comme Dieu lui-même voudrait être aimé, c’est que je te suis fidèle et loyale comme je crois que tu l’es avec moi, et que je donnerais ma vie sans hésiter plus tôt que de te faire la moindre petite contrariété ou la moindre cachotterie. Ceci une fois dit des lèvres et du cœur, il faut nous embrasser, nous regarder bien tendrement et être bien bons amis.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16329, f. 231-232
Transcription d’Érika Gomez assistée de Florence Naugrette

a) « excessivent ».

Notes

[1Jeux de mots-rébus pour « hideux ».

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