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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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17 avril [1837], lundi matin, 11 h.

Quelle estime voulez-vous que j’aie de vous, affreux Toto ? Vous n’avez pas de honte de manquer à des promesses qui vous coûteraient si peu à tenir. Si je vous tenais dans ce moment-ci vous passeriez un mauvais quart d’heure de matelas [1]. Malheureusement vous êtes à l’abri de ma vengeance et ma colère s’en va dans le vide. Sérieusement qu’est-ce qui t’a empêché de venir te reposer auprès de moi ce matin ? Ce ne peut être ton travail car enfin il faut bien que tu prennes le temps de te reposer un peu ? Alors, méchant Toto, c’est que vous ne m’aimez plus, c’est bien triste à penser. Je sais bien que vous n’en conviendrez pas mais vos actions et votre conduite sont là pour me prouver que je ne me trompe pas dans mes tristes conjectures. Que voulez-vous que fasse votre pauvre Juju une fois pénétrée de son malheur, dites ? Il vous était pourtant bien facile de l’aimer, le chemin était tout tracé, vous n’aviez qu’à le suivre. D’où vient que vous avez rebroussé chemin tout à coup ? Si vous avez un peu de cœur, si vous avez un peu de bonté dans l’âme, vous reviendrez sur vos pas, je ne pourrais pas vous attendre, moi, parce que ma destinée esta d’être toujours en avant et de vous aimer plus vite et plus fort que vous. Mais enfin je vous laisserai sur la route des baisers et des pensées bien tendres pour vous indiquer le chemin à suivre. Et je vous pardonnerai de n’être pas venu ce matin si vous venez très tôt dans la journée et si vous rattrapezb cette nuit le temps perdu.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16330, f. 59-60
Transcription de Chantal Brière

a) « et ».
b) « rattrappez ».


17 avril [1837], lundi après-midi, 2 h. ¼

Bonjour mon cher petit homme bien-aimé. Quel temps affreux, quel horrible froid. Si on n’avaita pas un peu d’amour dans le cœur on mourrait comme des mouches. J’ai mal à la tête ce matin, je suis contrariée de voir que Mme Lanvin m’a encore manqué de parole, je ne peux l’attribuer qu’à l’inexactitude de M. P… [2] Il est fâcheux qu’il en prenne l’habitude car je pourrai me trouver d’ici à très peu de temps dans un grand embarras vis-à-vis la maîtresse de pension. Je te dis cela parce que tu es mon bien-aimé et que toutes mes pensées te sont connues.
Je voudrais te voir, il me semble qu’il y a huit jours que je ne t’ai embrassé. J’ai une grande impatience pour ne rien dire de plus de te caresser. Le marchand d’huile est venu tout à l’heure et pour peu que la blanchisseuse vienne aussi aujourd’hui il ne me restera pas un sou. Ainsi va l’argent. Encore s’il faisait un peu de soleil mais il pleut et il fait un froid de loup, toutes choses attristantes surtout quand vous n’êtes pas là. Que je voudrais donc baiser mon petit o, To. Viens vite si tu ne veux pas que je sois bien mareuleuse [3]. Je suis triste et souffrante, cela mérite bien tout votre intérêt. Je t’aime, tu es ma vie, tu es mon tout, tu es mon adoré petit homme, mon Victor bien-aimé.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16330, f. 61-62
Transcription de Chantal Brière

a) « avait ».

Notes

[1Jeu de mots avec cardeur de matelas.

[2Pour M. Pradier. Le père de Claire se dérobe régulièrement à ses devoirs en ne participant pas au règlement de la pension de sa fille.

[3Déformation volontaire de « malheureuse ».

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