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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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3 avril 1837

3 avril [1837], lundi matin, 11 h.

Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour mon cher petit Toto. Je suis furieuse, je suis enragée, je me donnerais de grands coups de pieda ; depuis hier au soir je suis dans un paroxysmeb que rien n’a pu calmer. Comment est-il possible que moi, moi, Juju qui ai tant de bonheur quand je vais dîner avec toi, qui en aime tant les souvenirs, qui le désire si longtemps et avec tant d’ardeur, j’ai pu encore hier oublierc la Carte [1]. Encore si je l’avais perdue je n’aurais rien à me reprocher. Mais figure-toi que j’y ai pensé jusqu’au moment où tu l’as remise au garçon en lui disant : LE RESTE EST POUR VOUS. Faut-il avoir du malheur, faut-il être stupide pour que ces choses-là vous arrivent malgré l’intérêt et l’importance qu’on y attache. Vraiment c’est pour en être de mauvaise humeur tout un mois. J’espère, mon cher bien-aimé, que tu n’y as pas pensé non plus ? Il ne manquerait plus que cela à mon malheur c’est que tu m’aimasses assez que pour me causer volontairement un vrai chagrin. Car c’end est un véritable que j’ai depuis hier soir. Rien ne peut me consoler, il a beau faire du soleil je crois que je serai triste jusqu’au moment où je pourrai voir dans ta bonne et belle tête que tu m’aimes et que tu me plains. Que je voudrais donc la baiser, ce serait un dédommagement à la perte que j’ai faite. Jour mon cher bijou, jour mon Toto adoré.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16330, f. 7-8
Transcription de Chantal Brière

a) « pieds ».
b) « paroxisme ».
c) « oublié ».
d) « s’en ».


3a avril, lundi matin, 11 h. ½

J’ai tant de bonheur seulement de penser à toi et de te le dire que je ne peux pas m’en aller de devant cette table où je gribouille ce que j’ai dans la tête et dans le cœur sans venir à bout de l’épuiser. Je t’aime tant, mon cher petit homme, que tu ne le sauras jamais tout entier. Je t’aime comme jamais homme n’a été aimé avant toi. Si tu pouvais voir avec ton âme dans la mienne tu serais émerveillé de ce qu’elleb contient d’ineffable, de bon, de doux et d’adorable pour toi. Oui je t’aime ! Ma grande ambition, mon grand rêve, ma joie, mon bonheur serait à l’heure qu’il est de faire un petit voyage ; s’il pouvait être grand alors je serais au ciel. Mais te voir, être avec toi les jours, les nuits sans interruption, avoir ton âme sans intervalle, ce serait pour en mourir de joie. Mon Dieu, je me souviens de ce bonheur que nous avons eu pendant un mois l’année dernière [2] ; pour en avoir un pareil je donnerais la moitié et même toute ma vie s’il le fallait. C’est que j’étais si heureuse de vivre de ta vie, de ton air, de ton souffle. J’étais si joyeuse de ta joie, j’étais si fière de ta pensée que par moments je me faisais illusion et que je croyais que mon intelligence était devenue aussi grande que mon amour. Mon Dieu, si ce temps-là pouvait revenir bientôt ! Mon Toto, penses-y, tu me comblerais de joie pour toute ma vie. Je t’aime tant, moi.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16330, f. 9-10
Transcription de Chantal Brière

a) « 2 ».
b) « quelle ».


3 avril [1837], 7 h. ¼ du soir, lundi

Mon bon petit homme bien-aimé, je n’ai tant insisté tantôt pour que tu me conduisesa chez Mme Pierceau que parce que je croyais que tu avais quelque dîner ou quelque soirée à aller. J’ai aussi mes lubies, moi, et il faut me les pardonner. Il est certain, mon pauvre ange, que si j’avais été bien sûre tout de suite que tu avais besoin de travailler, je n’aurais pas insisté du tout. Je t’aime bien trop pour cela.
J’ai un violent mal de gorge, il est probable que je me coucherai de très bonne heure. J’ai suivi votre conseil, j’ai envoyé chercher deux œufs, ce qui nous fera dire : quand les amants sont entre œufs brouillés et que la querelle entre œufs dure il ne faut pas l’attribuer à la coque etterie de la femme car si la femme est coquette l’omelette aussi [3]. C’est bête et pas DRÔLE mais ça vaut mieux que rien avec son pain SÈCHE. La bonne continue d’être malade ce qui est peu amusant. Moi je vous aime comme de plus belle. Je voudrais que vous vinssiez une nuit, un matin, enfin quand vous voudrez, passer plusieurs moments AGRÉABLES avec moi ; nous tâcherons de ne pas trop scandaliser notre vieille bonne femme. Nous déjeunerons très bien et nous serons très heureux. Ça vous va-t-il gros To ? Que je vous aime, que je vous aime donc mon Dieu ! Jour, je vais laver mes deux petits plats, je crois qu’ils seront très gentils mais pas tant que nous. Tiens je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16330, f. 11-12
Transcription de Chantal Brière

a) « conduise ».

Notes

[1À élucider.

[2Du 15 juin au 20 juillet 1836, Victor et Juliette font un voyage en Normandie.

[3Passage humoristique qui multiplie les jeux de mots autour des modes de cuisson des œufs.

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