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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1835 > BnF, Mss, NAF 16324, f. 57-58

Mercredi soir, 10 h.

Tandis que vous vous nourrissez de louange délicate et de fine admiration, moi, je grignote dans mon coin un plat et insipide éloge, enveloppé dans une lettre de Mme K… [1] Je l’ai décachetée en votre absence, me réservant de vous la montrer quand vous viendrez, vilain jaloux, si toutefois vous tenez à boire de l’eau de vaisselle par-dessus un frais sorbet.
Moi qui suis par état, forcée d’avoir le goût moins susceptible que vous, je me contente des vieux rogatons qu’on veut bien me servir à l’occasion du magnifique régal qui se fait en votre honneur !
La lettre de M. de C… [2] m’a causéa une profonde tristesse. Elle me révèle entièrement ce que j’entrevoyais déjà. Cette alliance de la pensée d’une femme avec celle d’un homme, cette espèce de mariage de l’intelligence de l’actrice avec l’auteur [3].
Est-ce que vous ne trouvez pas bien amer pour moi que je sois exclue du bonheur qu’il y a à exprimer vos conceptions  ? Est-ce que vous ne sentez pas combien il doit être douloureux pour mon cœur de savoir que vous êtes bien heureux de ce qu’une autre que moi communique vos pensées au public ? Est-ce que vous trouvez mon chagrin injuste ? Mon ambition déraisonnable ? Dites ? Est-ce que tu m’en veux de vouloir être la seule à comprendre ton âme, ton génie ? Est-ce que tu me blâmes de trembler quand une autre femme que moi s’approche de si près de tes pensées les plus sublimes ? Oh ! non, n’est-ce pas ? Tu ne m’en veux pas ? Tu me plains, tu m’aimes, tu me seras fidèle malgré tout ! Oh ! n’est-ce pas que tu me seras bien fidèle ?
Si tu savais combien j’ai besoin de ton amour pour à présent, pour l’avenir, pour l’éternité si l’on vit dans le ciel !
Je voudrais te voir. Il est déjà bien tard. Penses-tu à moi au moins, tandis que je meurs de désirs de te voir, de te toucher, de te caresser ?

Juliette

Quoi qu’il arrive, je veux être au théâtre demain.

BnF, Mss, NAF 16324, f. 57-58
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
[Souchon]

a) « m’a causée ».

Notes

[2Selon Paul Souchon, il pourrait s’agir de M. de Custine : « Les représentations d’Angelo, avec Mme Dorval, ont valu à Victor Hugo des félicitations épistolaires nombreuses et, notamment, de M. de C. (sans doute M. de Custine), dont Juliette a eu la lettre entre les mains. C’est, pour elle, une occasion de s’attrister et de manifester ses regrets et sa jalousie de ne pas jouer une œuvre du poète. » (Souchon, édition citée, p. 75).

[3On ne sait de quelle lettre il s’agit, mais l’actrice dont Juliette est jalouse est soit Mlle Mars, soit Marie Dorval (et plus vraisemblablement celle-ci que celle-là), qui ont joué les deux rôles féminins d’Angelo, tyran de Padoue.

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