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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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19 janvier [1842], mercredi 10 h. ¾ du matin

Bonjour mon toto bien-aimé, bonjour mon bon petit homme chéri, bonjour. Comment ça va ce matin ? Pourquoi n’es-tu pas venu ? Est-ce que tu crains d’attraper la rougeole sérieusement ? Mon pauvre petit bien-aimé, il n’y a aucun danger puisque tous tes enfants l’ont euea et que tu as résisté à la contagion, il n’y a pas de danger maintenant. D’ailleurs, il n’y a pas pour moi moyen de faire autrement que ce que je fais, mon adoré. C’est un devoir, un devoir que toutes les mères remplissent et dont je ne suis pas dispensée, à ce que je sache. Non seulement, je dois le faire par conscience et par affection maternelle, mais par enseignement pour apprendre à ma fille à faire le sien dans l’occasion. Mais d’ailleurs, tu sais tout cela mieux que moi et tu le pratiquesb mieux que moi. Il est donc bien inutile que je me donne le ridicule d’insister là-dessus. Tu n’auras pas la rougeole, mon amour, c’est moi qui te le dis et quant à moi, si je l’ai, j’en serai quitte pour quelques jours de tisanec forcée et de chaleur exagérée. En attendant, il ne faut pas d’avance se rendre la vie malheureuse par des craintes, peut-être peu fondées, et par des absences qui me font plus souffrir que la plus atroce maladie. Je n’ai pas encore vu ma péronnelle ce matin. Je sais qu’elle va bien, cela me suffit. Je vais me lever et voir tout ça. Je vais être forcée d’écrire un mot à Mme Devilliers de mon cru car je ne veux pas t’obséder et t’ennuyerd sans nécessité. Je n’aime pas assez cela. Baise-moi, mon Toto, et ne pousse pas la précaution jusqu’à la cruauté envers moi. Viens, je t’assure que tu n’auras pas la rougeole [1] mais seulement des bons baisers bien chauds partout il y aura place pour en mettre. Je t’aime, mon Toto chéri !

Juliette

BnF, Mss, NAF 16348, f. 53-54
Transcription d’Hélène Hôte assistée de Florence Naugrette

a) « eu ».
b) « pratique ».
c) « tisanne ».
d) « ennuier ».


19 janvier [1842], mercredi soir, 5 h.

La Clarinette va très bien, mon amour et ne [farine ?] pas du tout, vous pouvez venir en toute assurance. Moi-même je suis très bien portante, au bonheur près, mais s’il faut dans de certains cas vivre avec son ennemie, il faut encore plus souvent vivre sans son ami. C’est ce qui m’arrive tous les jours depuis un bout de l’année jusqu’à l’autre, ce qui ne m’empêche pas de n’y être par habitude, au contraire. Enfin ce n’est pas faute de vous aimer, de vous désirer et de vous adorer, si je ne vous ai pas plus souvent, n’est-ce pas mon amour ?
J’ai écrit à Mme Devilliers pour lui dire l’état florissant de la péronnelle [2]. Maintenant, j’espère que nous sommes à bout de correspondance. Pour ma part, j’en ai assez. Ouf ! J’ai eu la visite de la sœur de Joséphine qui m’a apporté deux oranges ! Enfin, je suis très comblée comme vous voyez, mais venez donc, venez donc, mon toto chéri, ou je me donne la rougeole. Je vous en préviens afin que vous n’en soyez pas surpris. En attendant, je bisque et j’enrage. Mme Kraft n’a pas encore envoyé chercher son livre. Ma foi, tant pis pour elle, si elle ne vient pas auparavant les autres. Les premiers arrivés seront les premiers servis [3]. Ce sera qui est-ce, hélas ! Vous qui ne venez jamais, vous êtes toujours le mieux aimé, le seul aimé, le seul servi à genoux comme le bon Dieu que vous n’êtes pas, car vous êtes le plus méchant des hommes. Baisez-moi vilain monstre, et aimez-moi, je le veux ou je vous tue. Jour toto, papa est bien i. Ià ià en rénivlant.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16348, f. 55-56
Transcription d’Hélène Hôte assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Claire Pradier, que sa mère a renvoyée trop tôt au pensionnat, y a attrapé la rougeole.

[2Juliette désigne ainsi sa fille Claire.

[3Les amis de Juliette lui réclament des exemplaires du Rhin, dont une première partie vient de sortir.

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