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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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29 janvier [1838], lundi soir 5 h.

Je n’ai pas beaucoup d’espoir de vous revoir bientôt, mon cher petit homme. Vous ne vous prodiguez jamais, vous, et quand vous donnez une petite matinée grande comme ça — vous vous dépêchez de la faire payer par une journée d’attente et d’ennui longue comme ça ------------------------a.
Cependant, et pour n’être pas en dette avec vous, je vous donne tout de suiteb votre contingentc d’écriture dans le cas où vous me feriez la grâce de me mener à Hernani [1]. Je vous assure que vous faites très mal de me priver de cette cinquième représentation. Vous verrez, vous ne vous êtes pas aperçud hier au soir du chagrin que vous m’avez fait en prenant pour prétexte de ne pas venir chez moi quand Mme Pierceau y est. Il faut que vous m’aimiez bien peu pour souffrir la pensée que Mme Pierceau puisse faire oublier votre absence ou même la faire supporter, et si vous ne le croyez pas il faut que vous m’aimiez encore bien moins pour vous jouer de moi et de mon amour avec de pareils prétextes. Vous ne vous apercevezd pas de ce qui [se] passe en moi, quand vous me parlez ainsi, mais cela me fait bien du mal. Allez, je me suis endormie très tard et j’ai eu tout le temps de repasser tout le chagrin qu’à votre insu vous venez de me faire. J’espère, mon cher adoré, que ce que tu m’as dit hier de Janin et de sa marquise [2] n’était pas un reproche indirect de la gêne et du travail excessif que tu t’imposes bien malgré moi. Tu dois assez le savoir si tu me crois sincère et si tu écoutes les prières que je te fais tous les jours de ne pas te tuer par un dévouement au-dessus des forces humaines. Je suis si persuadée que tu dois un jour succomber sous le faix que toutee allusion à cela m’est suspecte et que je demande avec douleur 50 francs le moment où tu parles de tes fatigues et celui qui doit nous séparer, car, mon adoré, je t’aime plus que les autres femmes ne sont capables d’aimer. Ce n’est pas moi quand tes forces, c’est-à-dire ton amour, seront épuisées, qui te condamnerai à passer toutes tes nuits pour loger, vêtir et nourrir une vieille femme qui ne sera plus bonne alors qu’à t’aimer silencieusement et avec résignation dans le coin de quelque grenier ou sur le lit de quelque hôpitalf. Le jour où tu seras là tu seras délivré de moi. C’est que je t’aime, vois-tu, avant tous les besoins et au-dessus de toutes les richesses de la terre.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16333, f. 29-30
Transcription de Nathalie Gibert-Joly assistée de Gérard Pouchain

a) Le trait court jusqu’au bout de la ligne.
b) « toute suite ».
c) « compte-ingent ».
d) « apperçu », « appercevez ».
e) « tout ».
f) « quelqu’hôpital ».


29 janvier [1838], lundi soir, 10 h. ¼

Je t’écris bien tard, mon chéri, parce qu’on n’a pas dîné de bonne heure et que le feu n’était pas allumé dans la pièce où on peut écrire, mais le retard de mon épître s’esta changé en avance dans mon cœur et dans le désir de te voir, mon pauvre adoré. Ne crains rien de moi, je t’aime et je suis honnête autant que toi-même. Je viens d’écrire à la mère de la petite bonne de Mme Pierceau pour la servade en question. J’ai laissé la lettre ouverte pour que tu puisses la lire et voir les horribles mystères qu’elle contient. Je me fiche de vous, c’est bien fait. Vous m’aviez promis de venir me chercher pour le théâtre de la Renaissance et vous êtes un vieux blagueur. Je vous aime, entendez-vous. J’ai un froid de chien aux pieds et partout. J’ai cependant une chaufferette sous les pieds mais il n’y a encore qu’une demi-minuteb. Je vous adore, mon Toto, vous ne savez pas ça ou plutôt vous ne le savez que trop et vous en abusez, scélérat. Enfin vous faites très bien d’être un tyran et moi une pauvre victime amoureuse. Nous sommes chacun dans nos rôles d’emploi. Jour, mon petit o, jour, mon gros to, je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16333
Transcription de Nathalie Gibert-Joly assistée de Gérard Pouchain

a) « c’est ».
b) « demie ».

Notes

[1Hernani est repris à la Comédie-Française les 20, 23, 25, 27, 29 et 31 janvier et les 6, 9, 12, 18, 21, 23 février.

[2En 1838, Jules Janin se sépare de la marquise de la Carte, avec qui il vivait depuis 1833 dans un luxueux hôtel particulier.

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