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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Aux Metz, samedi matin [19 septembre 1835], 8 h. 10 m.

Bonjour, mon cher petit homme, bonjour, je t’aime de toute mon âme. J’ai bien pensé à toi cette nuit. Le grand vent et la pluie qu’il a fait m’ont tenuea éveillée une grande partie de la nuit parce qu’à chaque instantb la maison craquait comme si on avait voulu s’introduire dedans. Je te laisse à penser si j’ai eu peur et si mon oreille était aux aguets. Enfin, la voilà passée cette terrible nuit. Si je voulais, il ne tiendrait qu’à moi de faire la fameuse, car à présent, je n’ai plus peur du tout. Je ne comprends même plus ma peur de cette nuit. Mais je veux être sincère avec vous. Je vous ai promis l’histoire de toutes les minutes de ma vie loin de vous. Je tiens parole et pour compléter ma narration, je vous dirai que je vous ai aimé comme si vous aviez été là et que je vous aime comme si vous deviez arriver dans une minute. Cependant, je sais qu’il n’en est rien, car ce mauvais temps-là vous retient dans votre antre, mon GROS LION. Mais je vous aime autant de près que de loin, je vous adore encore plus à mon aise parce que je n’ai pas peur de mon amour et que j’ai peur quelquefois de votre MAJESTÉ.
A moins que le ciel ne se fonde en eau, j’irai à notre gros arbre qui est bien stérile pour moi cette année. Il ne m’a pas encore rapporté la plus petite lettre [1], et c’est bien ingrat à lui, car je lui donne la préférence sur les autres beaucoup plus jeunes et plus charmants que lui. Mais l’ingratitude, c’est le fond des hommes et des arbresc.

BnF, Mss, NAF 16324, f. 272-273
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
[Souchon]

a) « tenus ».
b) « chaques instants ».


Aux Metz, samedi soir [19 septembre 1835], 8 h.

Vous avez fait bien des façons avec moi ce soir, mon cher petit Toto, et vous nous avez privés tous les deux du bonheur d’être ensemble un quart d’heure de plus, c’est cruel.
Je suis revenue toute triste et toute pensive. Je pensais que je ne vous avais pas reconduit aussi loin que je l’aurais voulua, et je regrettais en même temps de vous avoir maltraité tantôt, quoique je fusse tout à fait dans mon droit.
Je t’aime, mon Victor. Je t’aime bien plus que du cœur et de la bouche, je t’aime avec l’âme d’à présent, et celle de l’avenir, je t’aime sur la terre et dans le ciel. Aussi je suis jalouse de toi et de ton intelligence, je suis jalouse de ton corps et de ton esprit, je suis jalouse de tout. Je ne sais pas si je me fais bien comprendre mais ce que je sais, c’est que je m’explique parfaitement mes joies et mes angoisses, ma sécurité et mon inquiétude, ma jalousie et mon amour.
Mon bien-aimé, je vais écrire les lettres que tu sais, ensuite je lirai à moins que je ne me sente trop abattue par le mal de tête et par la paresse qui me prend au corps en ce moment. Je ne sais pas si Mme Ledon est arrivée mais ce que je sais, c’est que le corb de chasse, les coups de fusils et autres attrape-nigaudsc n’ont pas cesséd de me charivariser depuis ce soir.
Bonsoir, mon adoré, dormez bien, ne criez pas et aimez-moi. Je vous baise partout sans exception…

BnF, Mss, NAF 16324, f. 274-275
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « voulue ».
b) « corps ».
c) « attrapent nigauds ».
d) « n’ont pas cessés ».

Notes

[1Lors de leur séjour aux Metz, Juliette et Victor déposaient leurs lettres dans le tronc creux d’un châtaignier. Ils pouvaient ainsi les échanger sans intermédiaire.

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