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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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15 avril 1843, samedi matin, [11 h.]

Bonjour mon Toto adoré, bonjour mon cher bien-aimé de mon cœur, bonjour je t’aime.
Ne prends jamais sérieusement les petites méchancetés que je dis à moins que tu ne les prennesa pour ce qu’elles sont : des preuves d’amour, d’admiration et de tendresse tournées à l’aigre par la jalousie : tu ne sauras jamais à quel point je t’aime mon adoré. Ne sois pas inquiet de la tristesse de ton Charlot, elle n’est qu’à la surface et deux ou trois jours de congé l’auront entièrement dissipéeb. En attendant je garde son petit désespoir dans mon livre rouge comme souvenir de ses premières inspirations.
Je désire que tu m’apportes la lettre de Didine. Je tiens plus que jamais à être la bibliothécaire des sentiments de cette petite Madame.
Je suis très contente, mon Toto chéri, d’avoir pensé à cette chaise en tapisserie. C’est juste ce qu’il faut pour ce genre d’aumône et Dieu sait que j’en fais le sacrifice de bien bon cœur à la Guadeloupe [1] et à toi. Je voudrais pouvoir te donner de même mon sang et ma vie.
J’ai reçu une lettre de ma sœur et de son mari. Ils sont dans le ravissement. Seulement je regrette qu’ils ne l’aient affranchie. Du reste, ces pauvres gens sortent encore d’une inquiétude assez vive. Leurs deux petits garçons ont été malades tous les deux et toussent encore beaucoup. J’espère que ce ne sera rien mais je n’aime pas entendre parler de toux après l’inquiétude que nous a donnéec celle de notre cher petit Toto [2]. Du reste il parle d’envoyer un turbot à la prochaine occasion. Ces pauvres gens ne savent quelle chère nous faire. Je leur riposterai par mon fameux fauteuil dès que les bras seront faits. Mon beau-frère n’a pas eu son augmentation malgré l’active intervention de son principal. C’est fâcheux mais il paraît se résigner avec courage. Il me mande qu’il voudrait trouver un mari pour Claire d’après ce que je lui avais dit de son séjour en pension et du danger de venir faire chez moi le métier ridicule de fille à marier. Tu verras la lettre. En attendant je t’embrasse comme je t’aime, c’est-à-dire partout et toujours.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 31-32
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « prennent ».
b) « dissipé ».
c) « donné ».


15 avril 1843, samedi après-midi, 4 h.

Je n’ai pas encore fait ma toilette ni mon ménage, mon Toto, et cependant je suis occupée depuis que je suis levée. C’est que j’ai voulu faire à fond toutes mes affaires parce que je vais avoir plusieurs jours de congé pendant lesquels je négligerai un peu ma maison pour m’occuper de ma péronnelle. Je viens de tailler mes plumes toutes prêtes pour le fameux scénario [3]. Je m’y suis appliquée et je m’appliquerai encore mieux à mon écriture. Ce sera peint. En attendant, mon cher petit, je te griffonne des tendresses en pattes de mouche, parce que je sais qu’en fait d’amour tu aimes mieux le fond que la forme. Tu aimes mieux un gribouillis bien passionné et bien sincère que des beaux mots bien peignés et bien alignés qui ne seraient que des mots.
Quand te verrai-je, mon amour ? Voici un bien beau temps qui, jusqu’à présent, ne nous fait aucun mal mais qui deviendrait très grave et très Bur-grave s’il persistait jusqu’à mercredi. Il faut espérer qu’il sentira l’inconvenance de sa conduite et qu’il se ravisera en gelant à pierre fendre et en grêlant à tire-larigota. Je prie le bon Dieu pour ça et pour bien d’autres choses encore dont la plus petite n’est pas notre voyage. J’en ai rêvé cette nuit. Mon Dieu que je serais heureuse si j’étais sûre, mais là bien sûre, que nous le ferons cette année. Hélas ! tant que nous ne sommes pas partis je suis en proie à un affreux doute qui me serre le cœur. Je t’aime trop.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 33-34
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « tirlarigo ».

Notes

[1Juliette a sans doute fait don d’un fauteuil au profit des sinistrés de la Guadeloupe.

[3À élucider.

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