Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1843 > Octobre > 27

27 octobre [1843], vendredi matin, 10 h. ¾

Ceci est le petit gribouillis que je te dois d’avant-hier, mon Toto, je ne suis pas assez bonne débitrice pour t’en faire tort. Je te le rends sans en rien omettre : ni les bêtises, ni les pâtés, ni les ratures, ni les fautes d’orthographea, ni l’amour. Je ne peux, ni ne veux rien retrancher de ce que je te dois. Prends-en ton parti et accepte le montant de ma dette sans rien compter, sans rien regarder, les yeux fermés. C’est en général comme ça que tu devrais faire tous les jours, mon amour, si tu avais quelques égards pour moi et si tu prenais quelque pitié de tes pauvres yeux. Et à ce sujet je te demande comment ils vont ce matin et comment va ta gorge ? Voilà un temps qui te calmera avec la précaution de bonnes bottes. Ta chère petite gorge ira mieux aujourd’hui je l’espère, mon pauvre petit, et je le désire de tout mon cœur.
Je suis bien impatiente de te voir pour savoir comment tu vas, pour te remercier de ta bonté d’hier, pour regarder ensemble tes petits arrangements et pour te baiser depuis les pieds jusqu’à la tête. Tâche de venir dans la journée si tu n’as pas d’affaire trop pressante. Tu n’as pas encore vu le petit cul-de-lampe au jour, c’est charmant. Il faut venir mon Toto chéri. Tu sais que j’ai besoin de tout voir et de tout admirer par tes beaux yeux.
Tu n’as pas d’Académie aujourd’hui, tes ouvriers doivent avoir fini ou en être bien près. Tâche de t’échapper un moment, mon cher adoré, tu me combleras de joie. En attendant, je t’aime, je prie le bon Dieu pour toi et et pour tous ceux que tu aimes. Je te désire et je t’adore.Je voudrais baiser toute ta ravissante petite personne depuis les pieds jusqu’à la tête. Je voudrais te prendre dans mes bras et t’emporter dans le ciel.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 247-248
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « orthographes ».


27 octobre [1843], vendredi soir, 9 h. ¼

Tu es mille fois bon et charmant, mon Toto bien-aimé, et je le sens au-delà de tout ce que tu peux souhaiter. Je cache souvent l’excès de mon adoration pour toute ta ravissante petite personne sous des dehors peu gracieux, je le sais, mais tu ne peux pas t’y tromper, n’est-ce pas mon beau bien-aimé ? N’est-ce pas qu’à travers toutes ces grogneries, sans fiel et sans mauvaise humeur, tu retrouves l’amour tendre et passionné de ta pauvre Juju ? N’est-ce pas mon bien-aimé que tu ne te méprends pas sur ces faux semblants de mouzonneriesa qui ne sont qu’à la surface et pour voiler tout ce que mon amour a de trop excessif ? N’est-ce pas, n’est-ce pas mon adoré que tu vois clair dans mon cœur comme s’il battait dans ta poitrine ? Si je pouvais penser que cette brusquerie, qui est le fond de ma nature physique, peut te donner le change sur mon amour, je la réformerais à l’instant, dussé-je en mourir. Je veux que tu saches bien que je t’aime afin de m’aimer un peu en retour. J’ai besoin de ton amour pour être heureuse. J’ai besoin de ton amour pour vivre. Il faut que je t’aime et il faut que tu m’aimes comme il faut que je respire.
J’ai dérangé les petits dessins en voulant faire la couverture. Cela te donnera la peine de les replacer et j’en suis bien fâchée. Je m’en veux de ma maladresse, mon pauvre petit bien-aimé et je me donnerais de grands coups si j’osais pour me punir de ma stupidité. J’ai présenté Notre-Dame de la Garde, mais elle est beaucoup trop haute et trop large pour la vitre. L’Empereur d’Autriche serait juste la mesure mais je trouve, comme toi, que cela ne va pas avec les dessins originaux. Je rengaine donc ma gravure jusqu’à nouvel ordre et jusqu’à de nouveaux dessins de mon grand ARTISTE Toto.
Dépêche-toi de venir mon Toto chéri pour que j’aie toutes les joies à la fois : celle de te voir, de voir mes belles images encadrées et celle, par-dessus toutes, de t’avoir un peu plus longtemps. Voici déjà qu’il est plus de neuf heures et demie. Dépêche-toi, dépêche-toi bien vite mon Toto, je suis très pressée.
Jour Toto, jour mon cher petit o ? Je vous aime. Baisez-moi, je n’ose pas dire la chose dans toute son acception parce que vous n’entendez par de cette oreille-là et que l’autre est bouchée avec du coton. Mais je me permets de la désirer au risque de vous très fort scandaliser.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 251-252
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « mougoneries ».

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne