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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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9 octobre [1843], lundi matin, 9 h.

Bonjour, mon Toto bien-aimé, bonjour mon adoré petit homme, bonjour, bonjour, je t’aime.
Il y a aujourd’hui un mois nous apprenions cette fatale catastrophe [1]. Tant que je vivrai, mon adoré, j’aurai devant les yeux ta pauvre figure toute renversée. Tant que je vivrai je sentirai au cœur la douleur que j’ai éprouvéea en lisant cette horrible nouvelle. Je demanderai bien de mourir tout de suite plutôt que de te voir jamais en proie au désespoir dans lequel je t’ai vu. Pauvre homme adoré, tu n’as pas manqué de courage mais je sentais tout ce que tu souffrais à travers la résignation extérieure que tu t’imposais. Mon adoré, mon adoré sois béni dans tes autres enfants. Qu’ils fassent ta joie et ton bonheur toute ta vie. C’est ma prière de tous les instants.
Ces pauvres enfants doivent être rentrés dans le collège aujourd’hui, Charles du moins. Il fait un temps affreux ce matin. Il faut qu’il prenne bien garde à ne pas s’enrhumer. Ce sera un soin qu’il faudra qu’il ait tout cet hiver. Ce sera encore un vide de plus chez toi aujourd’hui, mon pauvre bien-aimé, que l’absence de ces chers enfants. Que ne puis-je remplir ta maison d’amour de manière à ce que tu ne t’aperçoivesb pas de tout ce qui te manque. Ce n’est pas que l’amour me manque, il est assez grand pour remplir la terre et le ciel mais cela ne suffit pas pour remplir ton cœur. Mon cher adoré, pense que je t’aime plus que ma vie, pense que tout ce que tu souffres, je le sens doublé par mon amour. Aie pitié de nous deux, mon cher ange.
Je t’aime. Je baise tes beaux yeux adorés. Je vais travailler toute la journée et puis quand j’aurai fini, je commencerai les manuscrits. Ne sois pas triste mon bien-aimé, c’est-à-dire ne souffre pas. Je t’aime de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 185-186
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette
[Souchon, Massin]

a) « éprouvé ».
b) « apperçoives ».


9 octobre [1843], lundi soir, 5 h. ½

Voilà un bien vilain temps, mon adoré, bien triste et bien froid. Pour moi je n’en ai pas besoin pour avoir la mort dans l’âme. Être séparée de toi aujourd’hui est un deuil de plus pour mon pauvre cœur. Que fais-tu toi, mon pauvre ange ? Penses-tu un peu à ta pauvre Juju ? Depuis tantôt je travaille. Je n’avance pas beaucoup cependant. J’ai une Cocotte et une Suzanne qui me font damner. L’une crie à tue-tête et l’autre ne fait que des bêtises. Dans ce moment-ci elles me donnent quelque trêve. Mais c’est égal, elles ne sont pas amusantes tous les jours.
J’ai envoyé acheter des [produits  ?] à la halle tantôt pour tes yeux. Il y en a 150 pour 3 francs 14 sous. Il faudra que j’envoie payer tes souliers. J’attends que tu me dises si tu as besoin de bottes à Liège pour les commander en même temps. J’oublie tous les jours de te le demander, je tâcherai d’y penser ce soir.
Je vais passer une bien triste soirée, mon amour, si je ne te vois pas un peu auparavant le dîner. Je ne suis vraiment pas récompensée, mon Toto. Vous qui êtes si juste pour tout le monde, vous devez reconnaître que je ne suis pas payéea selon mon amour. Pourquoi ne venez-vous pas dans la journée, méchant homme ? Vous le pourriez si vous le vouliez et si vous m’aimiez. Taisez-vous, ne mentez pas, taisez-vous. Quand me donnerez-vous ce que vous me devez, mauvaise paie ? Mes quarante-six sous, mesb 10 sous et demic, mesb deux sous, mes deux sous et puis encore mes deux sous ? Je vous préviens que je ne lâche pas MON MANUSCRIT sans argent. Arrangez-vous là-dessus comme vous voudrez. C’est à prendre ou à laisser.
En attendant je vous aime à sèche et je vous désire trop pour mon bonheur.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 195-196
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « payé ».
b) « mais ».
c) « demie ».

Notes

[1C’est à Rochefort, le 9 septembre, que Victor Hugo a appris la mort de sa fille Léopoldine, en lisant le journal dans un café.

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