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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 22 février 1853, mardi matin, 8 h. 

Bonjour, mon petit bien-aimé, bonjour. Je t’aime en attendant l’heure de la restituscar tu m’en dois une de taille et de longueur, panachée de Gorey [1], de Plémonta [2] et du RESTE [3]. Nous verrons comment vous vous exécuterez. Mais d’avance je vous préviens que je serai très exigeante et très gouliaffe. Ça [a] été un grand crève-cœur pour moi, hier au soir, de te laisser aller seul à la ville. Mais je me suis fait un cas de conscience de traîner cette pauvre fille dont les pieds sont malades après sa journée faite. J’ai dû m’imposer cette rude privation pour ne pas abuser du zèle de cette fille qui, d’ailleurs, en a fort peu de reste pour moi. Pendant que j’y suis il faut que je te dise une espèce de demi-confidence qu’elle m’a faite hier, bien qu’elle ne me parlâtb pas directement, c’est sa manière. Pendant que je lisais mon journal elle s’est mise à dire qu’elle savait que monsieur Charles avait une bonne amie [4], que c’était une dame mariée, laquelle lui avait envoyé une lettre il y a deux jours. J’ai, comme tu sais, une grande répugnance à provoquer des confidences avec ces sortes de filles. Aussi j’ai fait semblant de ne pas entendre mais il faudrait prévenir Charles de se tenir sur ses gardes contre des indiscrétions qui pourraient amener on ne sait quoi, pour peu que le mari, ou ce qui en sert, tienne tant soitc peu à sa femme. Ce que je t’en dis, mon Victor, c’est pour te prévenir jusqu’à quel point ton entourage est indiscret et peut-être pis que ça, pour empêcher qu’aucun incident fâcheux vienne à la traverse des amours de Charles et par contrecoup peut-être de votre tranquillité à tous.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 187-188
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

a) « Plémond »
b) « parla »
c) « soi ».


Jersey, 22 février 1853, mardi midi

Ce n’est pas sérieusement que tu me demandes la restitus de ma migraine. Autant vaudrait voir le bon Dieu demander à la terre la restitus d’un brin de chiendent en retard. Aussi, je ne crois pas à la nécessité de te rendre ce pauvre petit morceau de restitus rassis. J’aime mieux te donner mon cœur à même, tu en prendras ce que tu voudras mais je ne veux pas le déchiquetera miette à miette pour te le servir bêtement sous la forme gribouillis. Telle est ma grandeur. Je voudrais bien savoir si tu es revenu seul hier au soir. J’espère que non car rien ne me déplaît plus que de te savoir seul dans les rues, ou plutôt dans les champs, la nuit. Je voudrais qu’il ne fût plus jamais question de ces réunions nocturnes, voire même celles de jour, tant je trouve ces braves gens absurdes [5]. Ce n’est pas d’aujourd’hui que je les juge ainsi et que je fais des vœux pour que tu t’en dépêtresb le plus tôt possible. La seule manière de leur rendre service c’est de ne pas se mêler à eux. J’ai l’outrecuidance d’avoir cette opinion et de la dire. Tiens, pourquoi pas ? Ces monstres-là en ont de plus saugrenues qu’ils avouent à ta face et à celle du bon Dieu. Mais moi je t’adore en plus et je ne t’impose pas de RÉUNIONS.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 189-190
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

a) « déchiquetter ».
b) « dépêtre ».

Notes

[1Gorey : petit port sur la côte Est de l’île, dominé par la forteresse de Montorgueil.

[2Plémont : « grottes naturelles au bas d’un promontoire granitique. Pour Adèle elles sont une des merveilles du monde. Se figurer des rochers immenses taillés, soit en forme de cathédrale, soit en grottes mystérieuses avec cataractes et torrents, le tout dans la mer. Pour son père, elles ressemblent à un palais de titans écroulé dans la mer […] », Gérard Pouchain, Dans les pas de Victor Hugo en Normandie et aux îles anglo-normandes, Éd. Orep, 2010, p. 62.

[3Derrière « reste », Juliette entend les moments d’intimité.

[4À élucider.

[5Les proscrits, en particulier ceux qui sont membres de la société La Fraternelle à laquelle Victor Hugo adhère mais dont il démissionnera en mars 1853.

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