Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1853 > Janvier > 16

Jersey, 16 janvier 1853, dimanche matin, 11 h.

Que tu es bon, mon doux bien-aimé, d’être venu ce matin malgré le mauvais temps et surtout malgré ton besoin de repos et de sommeil. J’en suis touchée jusqu’aux remords, jusqu’à l’adoration. Ô si cela avait dépendu de moi, mon cher petit homme, tu ne serais pas venu ce matin au risque de te rendre malade mais je serais allée à toi, mais je t’aurais bercé dans mes bras jusqu’à ce que toute fatigue et tout souci aient disparua de ton corps et de ton esprit. Aussi, mon Victor adoré, je ne suis pas sans inquiétude sur les suites de ta sortie ce matin et je me trouve presque coupable d’en être la cause ; et pourtant, j’en suis heureuse au fond du cœur et bien tendrement reconnaissante. Mon émotion est si vive quand je te vois que je ne trouve pas un mot à te dire. Il y a des moments où il me semble que ma vie et mon âme s’envoleraient si j’ouvrais la bouche pour donner passage à mon amour. Ce matin je n’osais même pas te regarder de peur de t’effrayer par l’explosion de mes caresses qu’un seul de tes regards aurait fait jaillir de mon cœur sur mes lèvres. Le son de ta voix, tes nobles et douces paroles me ravissaient l’âme et j’aurais voulu les baiser toutes au passage. Tu ne sais pas, tu ne sauras jamais, du moins dans ce monde, à quel point tu es aimé par moi. Toute l’immensité du ciel, toute la durée de l’éternité ne suffiraientb pas à contenir mon amour et ne l’épuiseraientc pas. Dors, mon cher bien-aimé, répare tes forces dont tu as tant besoin pour accomplir ta sublime mission. Pense à moi. Je t’aime et je te bénis.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 59-60
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

a) « disparus ».
b) « suffirait ».
c) « épuiserait ».


Jersey, 16 janvier 1853, dimanche après-midi, 2 h.

Je crains pour toi de nouvelles inquiétudes ou de nouveaux embarras aujourd’hui, mon pauvre adoré, car le bateau-poste est arrivé ce matin et les lettres ont été distribuées puisque j’en ai reçu une de Brest datée du 12 [1]. Je ne serai rassurée que lorsque je t’aurai vu. Mais d’ici là, je ne serai pas tranquille. Quoi qu’il arrive, mon petit bien-aimé, ne me cache rien et ne te gêne en rien pour tout ce que tu croiras devoir faire dans l’intérêt de ta famille. Jamais, dans aucun cas, je n’irai au-delà d’objections que tu seras libre de prendre en considération si elles te paraissent justes. Mais, jamais, je ne t’imposerai mon opinion tyranniquement pas plus que je n’aurai l’outrecuidance de te dicter ta conduite dans les choses qui ne touchenta pas à notre amour. Ainsi, mon Victor, ne me cache rien par égard pour toi-même et pour éviter des scènes déplorables comme celle d’hier. Comme honnête femme, dont tu ne peux pas douter, je mérite toute ta confiance, comme une pauvre créature qui t’aime avec toutes les jalousies de l’amour défiant. J’ai droit à ta pitié. De toute façon, mon doux adoré, tu n’as aucune bonne raison pour me rien cacher. Aussi je compte sur ta loyauté entière en échange de mon entière confiance.
Si je n’avais pas craint d’attirer l’attention sur toi, mon vénéré petit homme, je me serais informée auprès du propriétaire quelles étaient les passagères du bateau ce matin pour savoir si la personne en question [2] ne se trouvait parmi elles. Mais je me suis abstenue pour ne pas attirer les regards de ce côté-là. Et puis, il n’est pas probable qu’elle vienne avant la lettre qu’elle attend de Victor3. Je l’espère pour vous tous. En attendant, mon Victor bien-aimé, je suis bien impatiente de te voir pour savoir si tu as pu prendre un peu de sommeil dans la matinée et pour te baiser depuis ton grand front jusqu’à tes chers petits pieds.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 61-62
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain
[Souchon]

a) « touche »

Notes

[1Juliette entretient une correspondance régulière avec sa sœur et son beau-frère, Renée-Françoise et Louis Koch, qui résident à Brest, puis, plus tard, avec leur fils, Louis, qui se mariera avec Ottilie Snell en 1865. Voir Juliette Drouet, Lettres familiales, texte établi et présenté par Gérard Pouchain, Condé-sur-Noireau, Éd. Charles Corlet, 2001. Le corpus des 262 lettres qui composent l’ouvrage ne contient malheureusement pas de lettre datée du 12 janvier 1853.

[2Juliette fait certainement référence à Anaïs Liévenne, susceptible de rendre visite à Francois-Victor.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne