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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 4 janvier 1853a, mardi matin, 9 h.

Bonjour, mon pauvre tout adoré, bonjour, mes chers petits hommes, mes pauvres endoloris. Eh bien ! Avez-vous pu enfin dormir un peu cette nuit ? Je n’ai fait que songer à vous toute la nuit. J’aurais voulu faire taire le vent au dehors et éteindre toutes vos douleurs intérieures. Oh ! Pourvu que vous ayez passé une bonne nuit tous les deux. Toi surtout, mon pauvre adoré, consumé par le travail surhumain que tu fais et brisé par l’inquiétude et le chagrin que t’a donnésb involontairement ce pauvre cher malheureux enfant. Quand je pense que tu peux être malade des suites de ces commotions et de cette fatigue pousséec à l’excès, j’éprouve une espèce de frayeur folle qui donne à mon âme le même vertige que les précipices donnent à ma tête quand je les vois d’en haut. Toute la nuit ma pensée a tourné autour de cet affreux danger ; éveillée et en rêve, mon inquiétude n’a pas diminué et ce matin encore je suis tout impressionnée de mon angoisse de cette nuit. Je sens que je ne me rassurerai que lorsque je t’aurai vu et que je t’aurai bien auscultéd des yeux, des lèvres et du cœur. En attendant, je baise ton cher petit portrait avec amour, avec délire. J’ai trouvé moyen de le multiplier en le transportant de chambre en chambre et de coin en coin. Cette nuit je me suis relevée pour le mettre plus près de moi dans mon lit. Mais je n’oserai pas recommencer dans la crainte de casser la petite glace et d’abîmer cette chère petite image que je ne peux pas regarder sans tressaillement. Ô que tu es bon d’aller au-devant de mes plus chers et plus ardents désirs en me donnant une autre petit portrait pour compléterf celui-ci par le regard direct d’âme à âme. Ô que je t’aime d’y avoir pensé. Je n’aurais peut-être pas osé te le demander dans la crainte de te paraître insatiable mais je t’en suis passionnément reconnaissante. Plus tu multiplierasg ta chère petite image autour de moi plus je serai heureuse, plus je te verrai en chair et en os, plus mon bonheur sera vivant car mon amour c’est ma vie. Mais en attendant, mon Victor, il ne faut pas que tu souffres, je ne le veux pas. Je ne le PEUX pas.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 13-14
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

a) « 1852 ».
b) « donné ».
c) « poussées ».
d) « ausculter ».
e) « une ».
f) « completter ».
g) « multipliera ».


Jersey, 4 janvier 1853, mardi après-midi, 3 h.

Si j’étais bien sûre, mon pauvre doux adoré, que tu ne souffres pas et que ton absence ne me cache rien de plus triste que ce que je sais, je t’attendrais avec tout le courage dont je suis capable. Mais je crains que l’excès de fatigue et de tourment que tu as eu depuis cinq jours ne t’aita rendu malade. Mais j’ai peur que ton pauvre petit désespéré [1] ne s’obstine dans sa douleur. Enfin je trouve toutes les raisons du monde pour me tourmenter de ton absence et aucune pour me rassurer.
Mais voici Suzanne qui t’a rencontré tout à l’heure avec ton fils près de [illis. ], ce qui me fait croire que rien n’a empiré depuis hier, au contraire. Aussi, mon Victor adoré, j’attendrai tant qu’il le faudra. Je suis tranquille maintenant. Je serai heureuse quand tu pourras. Le pressé, l’urgent, l’indispensable c’est de consoler et de guérir ton pauvre petit Toto. Quant à moi, je reprendrai mes droits plus tard. Je ne vous en tiens pas quitte, soyezb tranquille. Aux armes citoyensc !!! En attendant dorlotezd bien mon pauvre petit Toto deux et aimez-moi un peu tout de même parce que j’en ai bien besoin.
Cher adoré, tu es moins tourmenté, n’est-ce pas, et tu entrevois le jour où ton cher Toto ne sera plus aussi malheureux ? Comment s’est passéee la soirée d’hier ? Avez-vous pu dormir un peu cette nuit ? Ô, que je serais heureuse si tu réponds affirmativement en bien sur toutes ces questions quand je te verrai. Mais d’ici-là, je veux être bien tranquille, bien contente, bien patiente et bien heureuse. Je veux que tu sois tout entier à ce pauvre petit amoureux malheureux maintenant que je sais que vous n’êtes pas malades. Grâce à Dieu, j’aurai autant de patience et de courage qu’il en faudra pour t’attendre, parce que je t’aime dans tout ce que tu aimes et que je t’adore absent et présentf, de loin et de près, toujours, toujours, toujours.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 15-16
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

a) « aient ».
b) « soilliez ».
c) « citoilliens ».
d) « dorlottez ».
e) « passé ».
f) « presens ».

Notes

[1François-Victor après le départ d’Anaïs Liévenne pour Paris (cf. lettre du 1er janvier 8h.)

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