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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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30 mars 1853

Jersey, 30 mars 1853, mercredi matin, 8 h.

Bonjour, mon cher petit Toto, bonjour, mon plus qu’aimé, bonjour, mon adoré petit homme, comment vas-tu ce matin, comment va ta chère petite Dédé [1] ? Tâchez de vous bien porter, dussé-jea en faire, à moi seule, tous les frais aujourd’hui, pendant que vous irez vous promener à quelque Gorey [2] ou à quelque Plémontb [3]. En attendant je te prie de ne pas travailler jusqu’à la fatigue, si ce n’est par pitié pour toi et pour moi, que ce soit par raison car il vaut mieux, somme toute, conserver ta santé intacte en ne travaillant qu’un peu tous les jours, que de la compromettre pour toujours en ne pouvant plus travailler jamais. Ce raisonnement, que M. de la Palice n’aurait pas désavoué, doit frapper votre esprit judicieux et vous faire rendre à ma prière. Oui, mon cher amour, crois-moi quand je te supplie de ne pas tant travailler car j’ai l’intime conviction qu’il y va de ta santé et par suite de ta vie. Ce commencement de douleur de cœur est un avertissement qu’il ne faut pas dédaigner. Aussi, mon cher petit homme, j’insisterai le plus que je pourrai pour que tu te reposesc et pour que tu t’amuses même sans moi ; ainsi aujourd’hui je me résignerai parfaitement à céder mon bonheur à la chère petite Dédé1, quitte à me le faire rembourser très prochainement avec l’intérêt des intérêts, des intérêts, des luncheons, des Plémontb, des déjeuners et des Gorey, telle est ma générosité. Profitez-en pendant que j’y suis.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 323-324
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

a) « dussai-je ».
b) « Plémond ».
c) « pour te reposes ». 


Jersey, 30 mars 1853, mercredi soir, 9 h.

Je m’en veux, mon bien-aimé, de t’avoir laissé aller seul par ce vilain temps noir et à cette heure indue (dans une île). S’il t’était arrivé quelque malheur je ne me le pardonnerais pas. Ce remords est si fort que je me considérerais comme très heureuse que tu n’aies rencontré que des AÎMÉES tout le long de ton chemin. Voilà où j’en suis réduite par suite de mon imprudence et de ma trop grande obéissance à ta volonté. Dorénavant je suivrai ma première inspiration et surtout ta chère petite personne adorée dont je réponds au monde entier et à mon cœur. En attendant, j’espère que mon imprudence n’aura pas eu de conséquences fâcheuses pour toi et pour moi. Mais pour que j’en sois plus sûre et plus vite rassurée tu serais bien gentil de venir demain avant l’heure de ton déjeuner me le dire. En même temps tu m’apporterais des nouvelles de ta chère petite fille [4] dont l’indisposition doit céder à une potion calmante et à deux ou trois jours de repos. Mais d’ici là, mon pauvre adoré, ma pensée fera bien dix fois le trajet de chez moi chez toi et de chez toi chez moi sans me tranquilliser, tant j’ai de regret de ne t’avoir pas accompagné et de te savoir souffrant de douleurs de cœur sans vouloir consulter le médecin à ce sujet. Du reste c’est un exemple que je suis, soyez tranquille, avec la certitude de crever le plus tôt possible. Telle est ma grandeur.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 325-326
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

Notes

[1Adèle Hugo, la fille cadette.

[2Gorey : petit port sur la côte est de l’île dominé par la forteresse de Montorgueil.

[3Plémont : « grottes naturelles au bas d’un promontoire granitique. Pour Adèle elles sont une des merveilles du monde. Se figurer des rochers immenses taillés, soit en forme de cathédrale, soit en grottes mystérieuses avec cataractes et torrents, le tout dans la mer. Pour son père, elles ressemblent à un palais de titans écroulé dans la mer […] », Gérard Pouchain, Dans les pas de Victor Hugo en Normandie et aux îles anglo-normandes, Orep, 2010, p. 62

[4Adèle Hugo (1830-1915), fille cadette de Victor Hugo.

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